04 août 2011

Renarde explosive. (Un totem imaginaire.)

L'idéal est un idéal parce qu'il est inaccessible. Et c'est précisément parce que je n'arrive pas à le faire agir dans ma vie comme je le voudrais que je m'efforce de l'approcher chaque fois que j'écris, je pense, je sens quelque chose. C'est entendu. Mais même si je m'en sais lointaine presque chaque jour qui passe, je le garde pas trop loin, il me fait du bien, me rappelle ce que je suis.
Aussi est-ce toujours avec une jubilation toute naïve que je vois venir les débuts de session. Même si je sais que, en cours de route, je me trouverai immanquablement à bout de souffle, débordée, désespérée de trouver un peu de temps pour penser et vivre, le choix des livres, les recherches préparatoires, la quête de films et d'autres gugusses susceptibles d'éveiller des étudiants dont je sais l'intérêt difficilement capté par ce qui s'écrit ou pire, doit se lire, me remplit d'une joie enfantine pas trop lointaine d'une saine folie.
Sauf que cette fois est différente : je me sais d'avance prisonnière de cours de mise à niveau.
Alors je me demande. Vraiment. Suis-je une imposteure si je n'ai pas de papillons dans le ventre à l'idée de convaincre quelques élèves qui n'en ont rien à faire que maîtriser sa langue est le début de la santé mentale ?
Je trépigne à l'idée de partager mon amour pour certains auteurs, certains regards sur le monde qui peuvent, je le sais pour l'avoir vécu, bousculer un peu ce que des post-ados croient être devenus. Parfois, c'est une période toute entière qui me rend fébrile et que je veux leur faire vivre de toutes les façons. Mais la langue... La langue, même quand elle est belle, sert à véhiculer quelque chose. Elle n'est pas une fin. Même en littérature. Du moins telle que je la vis.
Depuis que j'ai appris la triste nouvelle de ma tâche automnale, je suis forcée de revenir sur un présupposé fondamental. Parce que si l'idéal est une fin, il transcende tous ses moyens. Et j'ai bien peu à faire d'eux, s'ils ne feignent pas de me rendre pas à lui.

22 juillet 2011

Mi-figue, mi-raisin

Je suis devenue professeure de littérature précisément parce que je trouvais que la littérature trouvait difficilement sa place dans la cité; si pour un seul jour les techniciens en formation que j'aurai eus devant moi pensent que peut-être, la littérature, ça aide à vivre, j'aurai réussi.
Pourtant, je ne sais pas encore si je suis snobe ou populiste. Chaque cours que je donne, je m'exprime dans un langage qui me ressemble moins que celui que j'utilise ici, pour le dire comme ça, dans l'unique but de rejoindre le plus grand nombre. Chaque cours, je gesticule comme un clown et je réfère à nos vies quotidiennes pour ancrer la littérature dans la vie - en dehors de mon amour pour certains auteurs, c'est à ça que se résume ma perspective pédagogique, pour dire le vrai.
Considérant cette approche, je devrais, normalement, me réjouir de ce que des journalistes populaires, outre Foglia, qui le fait si bien, se mettent à pondre des chroniques littéraires. Pourtant, chaque fois, je tique. Et particulièrement quand il s'agit de Patrick Lagacé.
Peut-il légitimement parler de l'"oeuvre de Camus"? En a-t-il lu plus qu'un livre, lu au cégep, par surcroît ? J'en doute. Peut-être ai-je tort, peut-être Lagacé est-il un grand lecteur. Peut-être sait-il replacer l'oeuvre de Camus dans le contexte qui était le sien : celui de l'existentialisme, de la remise en question de ce que c'est, l'humanité. Mais c'est plus fort que moi, je ne peux m'empêcher de penser que ça ne cadre pas avec le personnage.
Et alors, je me demande : à quel prix la littérature doit-elle trouver sa place dans la cité ? Jusqu'où pouvons-nous aller avant de déclarer "Toi, ci-devant, tout t'est permis, sauf parler de livres" ?
Mon coeur veut répondre à cette question tout autrement que ma tête. Et pour une fois, je pense que la pédagogue a peut-être moins raison que l'intellectuelle.

17 juillet 2011

Déménagement prosaïque

Virginia Woolf a écrit dans son essai sur la maladie qu'il n'y a rien de moins romanesque que la maladie. Rien de moins inspirant qu'un mal de tête ou une vilaine toux, dont on ne tire un matériel fictionnel qu'au prix de larges efforts. (On pourra objecter Proust; elle ne l'aimait pas. On pourra aussi objecter Thomas Mann ou Dostoïevski; elle n'a pas eu l'air d'y songer. Avec raison : quelques contre-exemples ne sont pas des arguments pour invalider une thèse.) Et elle le regrettait, évidemment.
Ce soir, assise dans ma nouvelle salle à manger, observant l'orage au-dessus des boîtes et des pots de peinture, je ne suis pas loin de penser qu'en fait, ce sont tous les menus tracas du quotidien qui n'ont rien de romanesque. Qu'installer des miroirs et des tablettes éloigne dangereusement de ce qui ressemble à l'inspiration, un peu de la même façon que la gastro trouve mal sa place dans le coeur d'un récit.
Pourtant, je me rappelle que le matin du 1er juillet - sur la rue que j'habitais, nous étions une bonne dizaine de groupes à voyager boîtes et souvenirs de portes en camions - je m'étais dit au contraire que ces échangeurs temporaires au pas des porches suggéraient beaucoup de choses. Ils nous relaient, d'abord, comme si le fait d'être tous en transit nous rapprochait davantage que la proximité du voisinage. Ils disaient aussi beaucoup sur ce que c'est que d'être citadin : temporaire, nerveux et besogneux. Sans compter qu'ils nous montraient tels que nous sommes vraiment car, comme chacun sait, c'est dans les fractures qu'on se révèle le plus authentiquement.
Parmi toutes les variantes observées, plusieurs dominaient grandement. Il y avait les angoissés, qui bougaient beaucoup et étourdissaient sans vraiment déplacer quoi que ce soit; penser à tout, c'est trop prenant pour agir. Les équanimes, eux, se laissaient diriger sans poser de questions, trouvant par surcroît le temps de goûter pleinement le verre d'eau qu'on leur tendait et de rigoler aux mésaventures mentales des angoissés. Les pragmatiques, au contraire, ne s'abandonnaient pas à de tels loisirs, et cherchaient le moyen d'entasser le trop-plein qu'on emmagasine bêtement dans l'espace disponible pour le déplacer. Je vous laisse le soin de deviner à quelle catégorie j'appartiendrai toujours...
Or même si déménager n'a rien d'inspirant, surtout sous une chaleur opprimante, j'ai eu le temps de me dire, ce matin-là, qu'il y avait là beaucoup de personnages en puissance. Et que - ça fait longtemps qu'on le sait, mais on l'oublie trop, Woolf a raison - c'est précisément dans les événements les plus triviaux qu'il faut chercher ce qui déborde, parce que celui qui raconte ce qui éclate au coeur des moments sublimes a beaucoup moins de mérite que celui qui cherche partout, au cas où.
Ce qu'il y a, c'est qu'on perd beaucoup de temps à fonctionner comme ça. Et, malheureusement, en plein déménagement, il se fait rare, le temps.

17 juin 2011

Un examen où je n'aurai sûrement pas A+

Bientôt, je change de maison. Je change de chez-moi; il va devenir un chez-nous.
Et il y aura un enfant avec nous. Un enfant qui sera un enfant, qui criera, sautera, pleurera au mauvais moment. Il ne sera pas là très souvent - c'est une bonne manière d'apprendre : jusqu'à lui, qui en a un, je n'en avais jamais voulu, d'enfant -, mais il sera sûrement souvent là au mauvais moment. Il sera bruyant quand je voudrai le silence et indifférent quand j'aurai envie de lui apprendre la désobéissance - montrer la désobéissance joyeuse et l'importance du jeu et du savoir, voilà comment j'ai envie de m'inscrire dans sa vie. Même si, je dois souvent me le répéter, il y a toutes les chances que j'en disparaisse un jour.
J'ai vécu en n'imaginant jamais les choses durer. Les choses vivantes, j'entends. Mais cette fois, c'est un effort. Cette fois, il y a plus fort que moi mon doute et mon enfance seule avec une mère seule : il y a une vraie foi en un avenir lumineux et durable, une espérance si forte qu'elle se la joue certitude, et c'est risqué. Je dois m'en protéger.
Comme je n'ai jamais pensé mes amours en termes de durée, même s'ils ont tous, allez savoir pourquoi, duré, j'ai l'habitude. J'ai l'habitude aussi parce qu'enseigner au cégep, à coups de trois mois, en espérant, bien sûr, rester dans les esprits, c'est me lancer corps-et-âme et être là, vibrante et entière, perméable à toutes ces âmes qui me reçoivent, suspicieuses - "littérature", aux oreilles d'un futur technicien en comptabilité, c'est louche -, en les voyant partir sans pouvoir vérifier que moi et ces livres que j'ouvre devant eux, on continuera d'être en vie dans leur mémoire au-delà de quatre mois.
C'est vrai : mon engagement en enseignement a été, jusqu'à présent, à peu près inversement proportionnel au degré d'intérêt que j'ai senti aux premiers abords dans la classe qui me faisait face. J'ai choisi d'abandonner le doctorat précisément parce que ce qui me plaît, c'est convertir les non-convertis, convaincre les âmes étrangères à l'art et à la littérature que cette manière d'être au monde en vaut la peine; plus, qu'elle est nécessaire. Et le fait d'avoir cet été dans ma classe un étudiant en arts et lettres qui pense tout savoir me conforte dans ce choix : je n'ai pas envie de lui montrer qu'il en connaît moins qu'il ne le pense, j'ai envie de montrer aux autres qu'ils en connaissent au moins autant que lui.
Je suis un tremplin. J'espère l'être, à tout le moins. Un passeur, un éveilleur, voilà, oui, ce que je veux être. Pour eux, mes étudiants, et pour lui, mon "beau-fils".
C'est maintenant que ça va se jouer. Ce rôle de passeur que je joue tous les jours, est-ce que je pourrai, intimement, m'en contenter?
Une identité intellectuelle qui ne se soumet pas à la vie - je devrais plutôt dire qui n'agit pas dans la vie - n'est pour moi qu'un simulacre. D'ici quelques temps, je saurai si je me suis toujours menti.

09 mai 2011

Contempler ce qui n'est pas là

"Être un écrivain, ça fait du mal." "Oui, on est ailleurs." Pivot, et Duras.
J'aime beaucoup Apostrophes, que je n'ai pas regardé quand c'était le temps.
C'est vrai, "on est ailleurs". Je ne suis pas un écrivain, mais je suis, ça j'en suis sûre, une littéraire. Et je ne me permets pas de faire comme cette jeune femme en mini jupe qui a escaladé les roches sur le chantier à côté de chez moi pour prendre des photos à travers les branches et les camions : elle s'est permis d'être dans une contemplation visible que je ne fais que garder pour moi, chaque jour, trop souvent.
Je ne contemple pas vraiment puisque, c'est classique, contemplant, je regarde ailleurs.
Je n'aime pas la richesse du vocabulaire. Je ne lui accorde aucun prix. Si j'étais écrivaine, je voudrais écrire un livre qui reposerait sur peu de mots - "là", "visage", "moment" - mais qui dirait beaucoup de choses. Pour moi, les richesses de la langue ne sont pas dans ce qui se voit. Voilà pourquoi, peut-être, je ne contemple pas visiblement.
Mais je n'en admire pas moins ceux qui le font. Heureusement.

Clichée jusqu'au bout des doigts, et même dans le titre.

"Alors c'est ça j'espère qu'on se verra samedi et j'apporterai le vin et j'espère que tu seras là et bonne semaine!" C'était là beaucoup de phrases en une, qui allaient très bien avec leur propriétaire, qui portait, coin Berri et de Maisonneuve, des souliers rouges coordonnés à son manteau rouge et à sa sacoche rouge - qu'elle doit d'ailleurs appeler sa "bourse" - comme il se doit.
Quand cet après-midi Paul & Garfunkel se sont fait entendre sur le balcon voisin sous le soleil de fin de journée, j'ai trouvé que ça allait dans le même sens.
Et quand, lisant sur la table dans ma cour en me disant que mes voisins et amis - j'habite ce qu'il nous plaît d'appeler une "commune" - ne seraient pas comme moi je le serais, à m'épier pendant que je lisais, parce qu'au fond on est bien peu nombreux à s'intéresser au visage de ceux qui lisent pendant qu'ils lisent, je me suis sentie déçue comme mon personnage le demandait, je me suis dit que cette semaine recelait bien peu de surprises : sa thématique était le cliché.
Et même si je me suis pardonné d'être une parodie de ce que je suis, je m'en veux encore de m'être dit, tout de suite après, "il y aurait beaucoup de choses à dire sur ça, le cliché, combien il dénature des moments de la vie réelle auxquels il enlève leur saveur réelle, mais je devine qu'on a déjà beaucoup réfléchi à ça, que d'autres ont déjà beaucoup écrit là-dessus, alors aussi bien pas penser à ça, c'est déjà fait."
Fille, c'est pas parce qu'on t'a dit "si d'autres l'ont déjà fait ça vaut pas grand-chose" que t'es obligée de les croire, tu sais. Mais bon. C'est quelque chose d'acquis, ça : j'appartiens à la catégorie des littérateurs premiers de classe, indubitablement, et, sincèrement, je vois pas comment je vais pouvoir un jour passer à une autre étape qu'à celle du repentir, qui me taraude tous les jours, par rapport à ça.
C'est une prison, cette pensée-là. Paradoxalement, elle encourage la plus grande paresse. Et même si j'ai toujours eu A+ à l'école, ça m'a pris du temps pour le comprendre.

01 mai 2011

Petits printemps souriants...

C'est toujours pareil et je me répète : difficile de se (main)tenir dans l'idéal quand la vie suit son cours. Le travail, routinier pour certains - et je sais trop bien combien sa tiédeur contamine tout jusqu'à la tête - et tout court pour d'autres, les amours, le printemps; il faut prendre garde à chercher toujours à éveiller la pensée, sinon, on oublie.
Parce que si cette sorte de guet garde en alerte et bouillant, elle s'étiole vite, aussi, hélas et heureusement. Heureusement, oui, parce que chaque renaissance est une victoire vivifiante.
Par exemple ceci. D'abord on lit un livre correct mais sans plus, à la fin précipitée, en tout cas certainement pas le meilleur de son auteur, mais qui pourtant lui a valu le Goncourt de cette année, et on se dit quand même, c'est con, l'Institution. Et c'est suffisant pour qu'on se félicite de l'avoir lu quand c'était le temps, Houellebecq ou un autre, et ça nous redonne envie de nous y mettre, à la lecture, plus sérieusement. Ensuite, sur cette lancée, on se rend chez son libraire et on se rappelle les après-midis d'adolescence passées à fouiner dans les vieilles revues littéraires de la bibliothèque familiale, on se rappelle que ça titille juste comme il faut, alors on se gâte : c'est le cinquantenaire de la mort de Céline, qu'on retrouve avec joie. Céline, hein, pas sa mort.
Et après avoir pendant un moment parlé comme ça on se rend compte qu'on s'est mis à écrire autrement, parce que c'est enlevant, tout ça, Céline et le printemps. On reviendra bien à ses habitudes, allez, faut pas s'en faire. On se paye juste un petit luxe pour célébrer ça, la curiosité qui revient, pour ces choses et pour les autres.
Mais après, c'est promis, on va cesser de parler au "on" : c'est un peu vide, il faut bien le dire.

30 avril 2011

Ailleurs chez soi, ou pas.

Pour échapper à ma maison qui tremble et à tous les bruits qui l'encombrent, j'ai habité cette semaine la bibliothèque de mon quartier. Habité, vraiment.
Parce qu'aller chaque jour dans ce petit lieu vivant, c'est bel et bien devenir membre d'une communauté. C'est voir revenir les mêmes visages, habités à leur tour par ce qu'ils mijotent sans peut-être vraiment le savoir. Il y a ceux qui y travaillent, qui dès le troisième jour ne font plus ce sursaut de surprise du deuxième matin où ils nous ont vu revenir chez eux dès le petit matin alors qu'on n'y avait jamais mis les pieds. Il y a ceux qui lisent, souvent des bandes dessinées, et ceux, nombreux même si je ne sais pas si ça me plaît, dont on voit peu les yeux derrière l'écran qui les isole du reste de la maison. Tous, néanmoins, je les ai reconnus. Parce que je les ai revus, oui, mais surtout parce que je les avais toujours vus : c'est une fraternité de préoccupés que je me plais à fréquenter.
Je ne retrouve pas cette chaleur dans les grandes bibliothèques universitaires où je me suis surtout rassérénée ces dernières années. Trop d'espace et de gens, trop peu d'enfants - quand ils arrivent, vers les 15h, ils font du bien en dérangeant - et d'éclopés.
Ainsi pendant deux jours entiers un jeune homme, visiblement sans-abri, plutôt sale et l'air fatigué, s'est installé avec ses gros sacs à une table proche de la mienne pour noircir avec un bout de crayon frénétiquement, c'est le cas de le dire, une feuille mobile, une seule, pleine de tout petits caractères qui racontaient peut-être son histoire ou qui l'en sauvaient au contraire; une feuille en tout cas mystérieuse et que je lui enviais. Je le regardais sans en avoir trop l'air, j'espère, parce qu'il m'inspirait.
Un matin, une jeune femme à la mode est venue s'asseoir à la table voisine de celle de ce jeune poète ou génie ou rien du tout, juste passager. Sur sa table à elle, pas de feuille mobile, mais un ordinateur, un téléphone qui l'obsédait et un cahier qui a bien peu servi. En la regardant taper parfois sur son clavier et regarder souvent son téléphone, je ne lui ai rien envié du tout.
Je ne l'ai pas revue, d'ailleurs. Tant mieux : je ne la voulais pas parmi nous. Sûrement beaucoup parce que je sais que je lui ressemble bien plus à elle qu'à lui, au fond, même si je ne suis finalement jamais vraiment chez moi.

12 avril 2011

Plogue éhontée

Une amie que je ne vois plus beaucoup mais dont je me sens plus proche que bien d'autres de mes amis parce que nous avons déjà couru le risque d'ensemble parler de littérature a fait paraître récemment une réaction à ce beau livre de Bernard Émond, Il y a trop d'images.
C'est ici, et ça vaut la peine d'être lu.

Méditations risquées

Je ne me crois pas spirituelle, en tout cas pas au sens où les librairies l'entendent. Je ne crois pas aux clés uniques d'interprétation du vivant. Mais je me découvre peu à peu, en dehors de toutes les écoles philosophiques auquel je suis incapable d'adhérer, une volonté un peu folle de nommer l'invisible indistinct auquel je suis seul capable de croire.
Ainsi, dans un cours d'histoire de l'art que je suis en ce moment avec beaucoup de bonheur, c'est avec une certaine déception que j'ai écouté les élèves critiquer vainement le manque de précision des manifestes futuristes et surréalistes qu'ils découvraient : "Oui, d'accord, mais l'ont-ils fait vraiment ? Mais qu'est-ce que ça veut dire, ils ne parlent pas plastiquement..."
A-t-on vraiment besoin de toujours expliquer ce qui dépasse les mots ? Faut-il vraiment préciser que ces mouvements donnaient surtout une impulsion créatrice, un souffle à des artistes ambitieux qui voulaient donner libre cours à une sensibilité désordonnée que l'histoire n'avait pas encore laissé s'exprimer ? La pauvre professeure tentait de détourner ces questions réductrices du mieux qu'elle pouvait. Au fond, je la comprends de ne pas vouloir s'y frotter : c'est précisément en s'éreintant à expliquer cet inexplicable auquel on croit qu'on peut finir par s'essouffler et par devenir blasé.
Mais dans mes cours comme ailleurs, je continue de m'y risquer avec l'énergie que cet indistinct - ce "vide médian", diraient les taoïstes - fait généreusement circuler en moi.
*
C'est presque toujours quand mon corps est en désordre que ma tête est capable de voir. De vraiment voir. De méditer, tiens, s'il faut appeler ça comme ça, la méditation étant pour moi surtout affaire de regard.
Et parfois, quand mon corps, vibrant de ce désordre, me laisse regarder ce qui circule en lui - c'est les yeux fermés que ça se passe, il va sans dire - il m'arrive de voir même au-delà de lui. Et alors, je deviens quelque chose comme ce "ravin du monde" cher à la pensée chinoise : parce que j'arrête d'être attentive à tout ce qui le dépasse, mon corps, sûr (?) de ce qu'il est, s'ouvre et s'estompe, pour ainsi dire. Et souvent, quand il laisse ainsi surgir et s'exprimer en lui tout ce qui n'est pas lui, c'est ce qu'il y a tout à côté qui se met à l'habiter. Et souvent, ce qu'il y a à côté, c'est le corps de mon amoureux.
Alors mon corps arrête d'être juste ce corps. Il devient quelque chose d'immatériel que je peux voir. Vraiment. Quelque chose qui se déploie comme un voile lumineux, fragile et bienveillant, autour du corps de celui qui éclaire ma vie et me révèle ce que je suis. Et quand ce corps que j'aime est mis en danger, fragilisé, défié - c'est le cas maintenant : mon amoureux est à la croisée des chemins, à une croisée de chemins - je ne deviens, le temps de cette méditation nocturne, presque plus rien d'autre que cette coquille, que cet enveloppement délicat qui espère donner un peu de souffle à un coeur qui en a besoin.
C'est dangereux. Je sais. Je peux me briser à trop vouloir protéger. Je peux même briser ce que je veux protéger. Mais le temps que ça dure, je suis multipliée, ouverte, vivante. Et amoureuse.

28 mars 2011

Moins seule

Ce n'est pas bien terrible. Nous sommes des centaines de milliers à en souffrir, parfois ponctuellement, parfois pour toujours. Mais pour ma part, depuis que ça m'est tombé dessus, je suis en deuil.
Je suis en deuil d'être seule dans ma tête, seule à m'entendre lire et penser, seule à m'endormir - et dieu sait si j'ai dormi! des 14, 15 voire 18 heures de suite avant de me taper 2 jours sans sommeil occupés à lire et réfléchir; sur ce plan aussi, je suis une instable - et seule à pouvoir profiter d'une minute de silence.
Parce que, depuis quelques jours, mon oreille fait une crise d'asthme. Et je sais maintenant qu'elle n'est pas près de s'estomper.
*
Petite, pendant mes crises, avant qu'elles n'atteignent ce point où on se demande s'il existe encore quelque chose comme le souffle de la vie pour soi, je prenais un certain plaisir. J'écoutais les sons étranges que faisaient mes poumons et je m'efforçais d'y déceler une lointaine musique. Changeante et stridente, mais ça ne me déplaisait pas : j'étais une grande fan de Samantha Fox.
Mais ces temps-ci, je ne prends plus plaisir à entendre en permanence ce parasite qui m'empêche de dormir, de me concentrer, d'envisager la nuit avec le même bonheur qu'avant.
*
Michel Tremblay en a tiré un livre, je crois. L'homme qui entendait siffler une bouilloire. (De mémoire.) Je ne l'ai pas lu. J'ai très peu lu Michel Tremblay. Je ne sais donc pas s'il a réussi à traduire ce bourdonnement, cet envahissement de la vie qui transforme chaque petit geste en épreuve. Je sais que moi j'en serais incapable. Mais qu'il ait réussi ou non, je n'ai pas envie de lire ce livre.
Bordel que je n'ai pas envie de lire ce livre.

09 mars 2011

Un mystère résolu

Je suis une lectrice un peu têtue. Je me fais une image des écrivains et je m'y accroche sans même, souvent, vérifier leur bien-fondé.
Par exemple, au nom d'un préjugé favorable construit à partir de lectures fondatrices - j'avais adoré ses essais, surtout son magistral Espace littéraire, je me suis obstinée à lire Blanchot un peu partout, pour me rendre compte qu'en fiction, sa pensée se trouve de beaucoup obscurcie.
Ainsi m'étais-je toujours tenue loin de Thomas Mann, que j'imaginais lyrique et symboliste, vaguement conservateur et trop daté. Non sans raison, évidemment. Mais après 10 ans de résistance, j'ai lu La Mort à venise, cette nuit. (Eh non, je n'avais pas vu le film non plus, honte à moi...) Puis Tristan. Et j'ai été absolument séduite par sa musique, par ses personnages qui se révèlent petit à petit à travers des mots rares et beaux.
Il faudra que je me souvienne de cette lecture pour ne jamais plus écouter mes préjugés...
Image : http://media.paperblog.fr/i/260/2605914/mort-venise-thomas-mann-L-2.jpeg

28 février 2011

Sur la science et la littérature.

Récemment, on m'a questionnée sur l'épineuse question des pouvoirs d'ébranlement du littéraire face à ceux de la science. Et bien qu'il me semble qu'on pourrait lui consacrer une thèse entière, j'ai risqué une réponse, que je retranscris ici. Parce que c'est une question à laquelle les littéraires doivent songer tous les jours. Et puis parce que faute d'avoir quelque chose de neuf à dire, aussi bien répéter ce qui l'a déjà été pour que tous puissent y jeter un oeil...
*
Une réponse possible peut venir de la philosophie, de Kant plus précisément, qui propose une distinction entre le scientifique et le philosophique qui pourrait valoir quelque chose ici. Oui, la science peut ébranler, mais la science ne peut faire le récit de cet ébranlement, le fouiller, ne peut revenir sur les crises qu'elle traverse par la voie d'un métalangage, sauf rarement. La science ne peut se détacher d'elle-même et donner aux ébranlements qu'elle cause leur véritable portée. Le discours philosophique peut le faire.
De façon analogue, la littérature est peut-être un espace où la fracture peut s'élargir en s'énonçant, pour ainsi dire, où une extrême présence à ce qui ne se dit QUE difficilement - d'où l'intérêt - fait apparaître cet ébranlement dans toute sa force.
Le propre des pouvoirs de révélations du littéraire concerne peut-être moins l'ébranlement - un cartésien pourra être plus profondément ébranlé par une découverte scientifique que par le récit sublime du "Bruit des choses vivantes", par exemple - que la capacité de s'attarder à cet ébranlement, de le raconter avec une extrême attention qui en révèle les profondeurs. En clair : il y a indubitablement une réelle beauté dans certaines images ou découvertes scientifiques. Mais la science ne peut pas s'attarder à cette beauté, ne peut pas la décrire avec les mots qui inscriraient cette splendeur dans une durée. Ce que peut faire la littérature, il me semble.
Ainsi, et pour finir avec le sourire, il y aurait peut-être un très bon roman à écrire à propos des ébranlements que traverse un scientifique incapable de les nommer, mais j'imagine mal une hypothèse scientifique tentant de mesurer les ébranlements du littéraire. Le potentiel explicatif de l'une dépasse largement celui de l'autre. À moins qu'on ne s'intéresse qu'aux choses observables. Mais nous sommes encore quelques-uns à prendre le risque de s'approcher d'un indicible qui transcende les faits. Heureusement!

13 février 2011

Beaucoup de lumière

Je ne suis pas une optimiste. Je ne suis pas une positive. Mais je ne suis ni toute de noirceur ni toute d'angoisse; je fais mon chemin.
Sauf qu'il m'arrive souvent de mourir un peu, tuée par les petits mépris des autres, par mes faiblesses et mes peurs, surtout mes peurs, qui me dépassent et me grugent. Je meurs un peu à chaque abandon, et je me donne le droit à la colère ou à la peine quand elle vient. Je ne transforme pas vite vite vite chaque épreuve en leçon, comme on doit faire désormais si j'ai bien compris. Je ne parle pas toujours au "je" quand je suis sous le coup de la colère et quand je suis excédée vraiment, il m'arrive même de crier. Et de pleurer. Souvent, pleurer.
Je suis en vie, quoi.
Je suis du côté de la vie. Du côté de ce qui déborde et dérange, de ce qui fait mal et penser. Et je crois bien que Gil Courtemanche l'est aussi. Quand il dit "On meurt tellement souvent au cours de la vie", ce n'est pas tant toutes ces morts, qu'il me fait voir, que toutes les renaissances qui les suivent forcément. Et pour qu'il reconnaissaisse dans l'être aimé "la musique que l'âme imaginait et que l'on entend soudain", il a fallu qu'il l'entende toute sa vie, cette musique retrouvée. Il a fallu qu'il y ait toujours quelque chose comme un fil tendu, un souffle qu'il n'imaginait pas se briser. Même quand on n'existe que par procuration - "Chaque mouvement vers le beau, la grâce, l'intelligence me retourne en toi." - on existe encore. Et c'est peut-être même simplement ça, exister : passer par l'autre pour multiplier la vie en soi.
Je suis en ce moment amoureuse et heureuse. Mais je continue d'avoir mal souvent. Et si j'ai voulu lire ce livre à la tristesse insistante pour me donner le droit à la douleur, alors j'ai bien fait. Parce qu'il m'a surtout montré que tout ce qui bascule et chamboule ne va pas de la vie à la mort, mais de la vie à la vie. Toujours.
Référence : Je ne veux pas mourir seul, p. 58, 84, 121.

05 février 2011

Petits matins

La journée commence comme ça.
D'une église l'autre - c'est mon trajet matin et soir -, je croise souvent des enfants fourmillants. Ou pas. Parce que c'est bien beau les enfants coquins et souriants qui chantonnent en marchant, mais il y a aussi les autres, tout seuls, pas tristes mais pas sautillants non plus, juste là. Évidemment, ce sont mes préférés. Je croise aussi la brigadière qui a l'air bête et qui ne répond pas quand je la salue, et l'autre au sympathique "Bonne journée ma belle!".
Et sur ma route, je pense à ces maudites bottes qui prennent l'eau de plus en plus, à ma tuque noire, la nouvelle, qui peine à tenir en place, je pense combien c'est fou ce que je fais vivre à mon corps, combien c'est facile sourire en marchant depuis qu'il est dans ma vie, combien j'aime ça depuis toujours et également, piler dans la grosse slush, la molle mais pas trop, combien ces mitaines, vraiment, c'était l'aubaine du siècle et presque, presque, combien j'ai du mal à sortir de moi pendant la marche matinale.
Puis je me souviens que je m'en vais passer la journée à corriger les textes des autres sur les livres des autres et que je devrai mettre tous les efforts à comprendre ce que tous ces autres veulent dire, et je me pardonne.
Je ne suis pas bouddhiste, mais ça balance, quand même, au final. Il faut l'admettre.

22 janvier 2011

Moments parfaits

Cette semaine, quelqu'un a pris le temps de me parler d'un livre. Vraiment. De le déchiffrer avec moi, sans le trahir mais en restant fidèle à ce qu'il lui avait fait vivre. Je me risque trop rarement à ce genre de choses; j'ai trop peur de ce que ma parole va aller jusqu'à dire. Je n'en apprécie que davantage ceux qui ont la générosité de penser que je peux les comprendre.
Samedi matin. Tôt. Je me réveille d'un coup, enthousiaste, heureuse. Le temps passe lentement avant que je puisse aller faire ce que j'ai envie de faire, qui par bonheur est aussi ce que je dois faire : aller analyser des oeuvres au musée. J'arrive parmi les premiers, j'ai tout mon temps, il fait soleil. Et cette heure passée seule dans de grandes salles devant ces toiles à essayer de recevoir ce qu'elles ont à m'offrir a ressemblé à un moment parfait.
Au moins pour cette semaine, Jean Leloup n'avait pas raison - il a souvent eu tort, mais au moins il s'est risqué : les moments parfaits peuvent durer, revenir, et ne s'arrêtent jamais d'apparaître pour peu qu'on veuille les y aider.

16 janvier 2011

Seule et moins seule

Hier soir, attablée seule au bout de la belle table pour 6 que j'avais préparée à mon étrange famille qui a finalement préféré ne pas venir, pensant à tous ces "amis" qui annulent des rendez-vous, ne tiennent pas leur parole ou ne me l'adressent carrément plus, et même en sachant mon amoureux magique juste là, pas bien loin, je me suis sentie bien seule.
Je me suis sentie bien seule à tenir promesse, à être engagée envers ces autres qui me trouvent souvent dure parce qu'ils ne devinent pas que c'est l'importance qu'ils ont pour moi qui explique mes exigences. Même des voix chantant un Mendelssohn doux et rond ne réussissaient pas à m'égayer sous la lumière tamisée choisie pour enrober un souper que j'espérais souriant.
Puis je me suis rappelé cette première analyse littéraire faite en secondaire 4 que je venais de retrouver en classant mes vieux papiers dans la journée, vieille analyse portant sur Le Mur de Sartre et s'attardant de façon un peu facile au concept de "mur" (ouh là là! cherché loin, ça!) ou de frontière tel qu'il apparaît dans chaque nouvelle. Et je me suis dit, dans ma tristesse, que ce n'était peut-être pas une mauvaise idée de retourner lire ce livre qui ne ressemble pas à ce qui a fini par m'intéresser en littérature, ce livre étranger à ce qui me travaille désormais. Que ce n'était pas une mauvaise idée de retourner voir la lectrice que je ne suis plus, cet auteur que je ne lis plus, ces personnages qui ont mal passé l'épreuve du temps, cette manière de raconter qui ne coule pas très bien; des choses, bref, qui me feraient sortir de ce qui m'est familier et de la petite solitude pas bien lourde que je laissais m'endolorir.
Eh bien ça a marché. Si je n'ai pas été transportée par cette lecture, elle m'a distancée de moi. Et si, plus tôt dans la soirée, j'étais au bord de me convaincre que je devais faire comme tout le monde - ne pas m'engager, ne pas m'emballer - pour être moins durement déçue, elle a réussi à m'éloigner de cette idée que je n'avais de toutes façons pas encore vraiment adoptée. Parce qu'il n'y a rien comme sortir de soi pour raviver notre curiosité pour un Autre qu'il faut apprendre à aimer dans son étrangeté même.
L'affaire de toute une vie, bien sûr. Mais je me compte chanceuse : j'ai quelques livres pour m'aider à ne pas oublier de m'y consacrer.

10 janvier 2011

Nouvelles actuelles

J'avais oublié la nouvelle, le recueil de nouvelles. Preuve que je ne la fréquente pas assez : j'ai l'impression de faire ce constat presque chaque fois que je la retrouve. Je ne m'en veux pas; ces allers-retours sont à l'image du rythme qui est le sien, coupé sans l'être, comme les notes accentuées d'une mesure sans silence. Quand même, pendant les vacances des Fêtes, moment où, que je le veuille ou non, je me surprends souvent à jeter un regard sur l'année qui vient de passer, j'ai trouvé qu'elle tombait trop bien pour que je la néglige de la sorte à l'avenir.
Parce que j'avais oublié comment elle fait être, comment je me dissous à travers elle et combien douce est sa manière singulière de me saisir sans rien forcer. Je suis captée par la nouvelle comme par le roman, et au même rythme, surtout. Mais elle n'en est pas un, roman. Elle prend le même temps pour devenir un monde, mais c'est parce qu'elle m'abandonne avant que je ne m'y sois attendue qu'elle est si exaltante. À la fin d'une nouvelle, je me retrouve dissoute un peu partout dans l'air qui l'entoure comme après un instant de passion fulgurante - "Les instants ont des couleurs, des parfums, des touchers, des lumières, mais ils n'ont pas de contour, ils sont sans limite, flottants comme des brumes." (p. 88) -, et je dois me reprendre sans rien brusquer, parce que, si elle est bonne, bien sûr, je veux qu'elle continue d'exister longtemps. Je veux ne pas pouvoir entrer dans celle qui la suit sans avoir gravé les traces qu'elle a laissées en moi pendant que je m'éludais quelque part dans un horizon qui dure.
Or cette manière de se déployer, de me déployer, m'en dit beaucoup sur ma dernière année, évanescente et dissipée. Après chaque épreuve, chaque grande joie, je me suis surprise à être juste un peu trop en dehors de moi. Je fonce dans chaque éclat de rage ou de rire la tête première. "Mon âme est dans mon ventre." (p. 158) Je crie et je pleure le plus fort possible pour ne rien perdre de ce que c'est, ma vie, mais j'ai beaucoup de mal avec le silence qui suit, que je fuis de cent façons étranges et mal choisies. Dans ma peur, je dois pouvoir deviner quelque bruit après le silence pour écouter ce qu'il brise ou fait éclore en moi. Sinon je n'écoute plus rien; je beugle. Ce qu'il faudrait, c'est que je m'inspire d'Ysa, cet "Ange de Dominique" pensé par Anne Hébert dans la nouvelle du même nom, et que j'apprenne à faire résonner en moi "les choses que la parole ne traduit pas", à me servir d'autre chose que du vacarme pour "parler sans détruire le silence." (p. 60)
C'est précisément ce que fait la nouvelle. Celle d'Hébert, en tout cas, dans son magnifique Torrent que je n'ai lu que dernièrement. Parcourant ses nouvelles, on ne s'éloigne jamais du mystère profond qui les fonde et nous emporte avec elles dans cette "aventure" au bout de laquelle "rien n'est impossible." (p. 75) On me dira que chaque grand texte continue de vibrer bien après qu'il soit terminé. Évidemment. Mais dans un recueil de nouvelles, les silences se suivent d'assez près pour que cette opération alchimique soit encore plus tangible et observable qu'à la lecture d'un roman.
Cette année, faute de mieux et peut-être tant mieux, ça a été ça, ma "magie des Fêtes". Ça a été, pendant cette lecture, d'apprendre à ouvrir mes yeux sur cette "lumière contre le sol (qui) semblait sortir du sol même" (p. 151) entre chaque nouvelle et qui m'éclairait d'une nouvelle façon dans un silence que je n'essayais pas de ne pas écouter. Je ne dis pas que ça y est, que j'ai compris une fois pour toutes; je ne suis pas du type à prendre des résolutions. Je dis simplement que cette lecture a clarifié ce que j'entrevoyais avec peine : "une fois qu'on a commencé de vivre, ça n'en finit plus" (p. 91), mais travailler son goût pour les pauses entre les éclats, et savoir les écouter, ça ne fait de tort à personne.
* Toutes les citations sont tirées du Torrent d'Anne Hébert publié chez BQ.