22 juillet 2011

Mi-figue, mi-raisin

Je suis devenue professeure de littérature précisément parce que je trouvais que la littérature trouvait difficilement sa place dans la cité; si pour un seul jour les techniciens en formation que j'aurai eus devant moi pensent que peut-être, la littérature, ça aide à vivre, j'aurai réussi.
Pourtant, je ne sais pas encore si je suis snobe ou populiste. Chaque cours que je donne, je m'exprime dans un langage qui me ressemble moins que celui que j'utilise ici, pour le dire comme ça, dans l'unique but de rejoindre le plus grand nombre. Chaque cours, je gesticule comme un clown et je réfère à nos vies quotidiennes pour ancrer la littérature dans la vie - en dehors de mon amour pour certains auteurs, c'est à ça que se résume ma perspective pédagogique, pour dire le vrai.
Considérant cette approche, je devrais, normalement, me réjouir de ce que des journalistes populaires, outre Foglia, qui le fait si bien, se mettent à pondre des chroniques littéraires. Pourtant, chaque fois, je tique. Et particulièrement quand il s'agit de Patrick Lagacé.
Peut-il légitimement parler de l'"oeuvre de Camus"? En a-t-il lu plus qu'un livre, lu au cégep, par surcroît ? J'en doute. Peut-être ai-je tort, peut-être Lagacé est-il un grand lecteur. Peut-être sait-il replacer l'oeuvre de Camus dans le contexte qui était le sien : celui de l'existentialisme, de la remise en question de ce que c'est, l'humanité. Mais c'est plus fort que moi, je ne peux m'empêcher de penser que ça ne cadre pas avec le personnage.
Et alors, je me demande : à quel prix la littérature doit-elle trouver sa place dans la cité ? Jusqu'où pouvons-nous aller avant de déclarer "Toi, ci-devant, tout t'est permis, sauf parler de livres" ?
Mon coeur veut répondre à cette question tout autrement que ma tête. Et pour une fois, je pense que la pédagogue a peut-être moins raison que l'intellectuelle.

17 juillet 2011

Déménagement prosaïque

Virginia Woolf a écrit dans son essai sur la maladie qu'il n'y a rien de moins romanesque que la maladie. Rien de moins inspirant qu'un mal de tête ou une vilaine toux, dont on ne tire un matériel fictionnel qu'au prix de larges efforts. (On pourra objecter Proust; elle ne l'aimait pas. On pourra aussi objecter Thomas Mann ou Dostoïevski; elle n'a pas eu l'air d'y songer. Avec raison : quelques contre-exemples ne sont pas des arguments pour invalider une thèse.) Et elle le regrettait, évidemment.
Ce soir, assise dans ma nouvelle salle à manger, observant l'orage au-dessus des boîtes et des pots de peinture, je ne suis pas loin de penser qu'en fait, ce sont tous les menus tracas du quotidien qui n'ont rien de romanesque. Qu'installer des miroirs et des tablettes éloigne dangereusement de ce qui ressemble à l'inspiration, un peu de la même façon que la gastro trouve mal sa place dans le coeur d'un récit.
Pourtant, je me rappelle que le matin du 1er juillet - sur la rue que j'habitais, nous étions une bonne dizaine de groupes à voyager boîtes et souvenirs de portes en camions - je m'étais dit au contraire que ces échangeurs temporaires au pas des porches suggéraient beaucoup de choses. Ils nous relaient, d'abord, comme si le fait d'être tous en transit nous rapprochait davantage que la proximité du voisinage. Ils disaient aussi beaucoup sur ce que c'est que d'être citadin : temporaire, nerveux et besogneux. Sans compter qu'ils nous montraient tels que nous sommes vraiment car, comme chacun sait, c'est dans les fractures qu'on se révèle le plus authentiquement.
Parmi toutes les variantes observées, plusieurs dominaient grandement. Il y avait les angoissés, qui bougaient beaucoup et étourdissaient sans vraiment déplacer quoi que ce soit; penser à tout, c'est trop prenant pour agir. Les équanimes, eux, se laissaient diriger sans poser de questions, trouvant par surcroît le temps de goûter pleinement le verre d'eau qu'on leur tendait et de rigoler aux mésaventures mentales des angoissés. Les pragmatiques, au contraire, ne s'abandonnaient pas à de tels loisirs, et cherchaient le moyen d'entasser le trop-plein qu'on emmagasine bêtement dans l'espace disponible pour le déplacer. Je vous laisse le soin de deviner à quelle catégorie j'appartiendrai toujours...
Or même si déménager n'a rien d'inspirant, surtout sous une chaleur opprimante, j'ai eu le temps de me dire, ce matin-là, qu'il y avait là beaucoup de personnages en puissance. Et que - ça fait longtemps qu'on le sait, mais on l'oublie trop, Woolf a raison - c'est précisément dans les événements les plus triviaux qu'il faut chercher ce qui déborde, parce que celui qui raconte ce qui éclate au coeur des moments sublimes a beaucoup moins de mérite que celui qui cherche partout, au cas où.
Ce qu'il y a, c'est qu'on perd beaucoup de temps à fonctionner comme ça. Et, malheureusement, en plein déménagement, il se fait rare, le temps.