22 juillet 2011

Mi-figue, mi-raisin

Je suis devenue professeure de littérature précisément parce que je trouvais que la littérature trouvait difficilement sa place dans la cité; si pour un seul jour les techniciens en formation que j'aurai eus devant moi pensent que peut-être, la littérature, ça aide à vivre, j'aurai réussi.
Pourtant, je ne sais pas encore si je suis snobe ou populiste. Chaque cours que je donne, je m'exprime dans un langage qui me ressemble moins que celui que j'utilise ici, pour le dire comme ça, dans l'unique but de rejoindre le plus grand nombre. Chaque cours, je gesticule comme un clown et je réfère à nos vies quotidiennes pour ancrer la littérature dans la vie - en dehors de mon amour pour certains auteurs, c'est à ça que se résume ma perspective pédagogique, pour dire le vrai.
Considérant cette approche, je devrais, normalement, me réjouir de ce que des journalistes populaires, outre Foglia, qui le fait si bien, se mettent à pondre des chroniques littéraires. Pourtant, chaque fois, je tique. Et particulièrement quand il s'agit de Patrick Lagacé.
Peut-il légitimement parler de l'"oeuvre de Camus"? En a-t-il lu plus qu'un livre, lu au cégep, par surcroît ? J'en doute. Peut-être ai-je tort, peut-être Lagacé est-il un grand lecteur. Peut-être sait-il replacer l'oeuvre de Camus dans le contexte qui était le sien : celui de l'existentialisme, de la remise en question de ce que c'est, l'humanité. Mais c'est plus fort que moi, je ne peux m'empêcher de penser que ça ne cadre pas avec le personnage.
Et alors, je me demande : à quel prix la littérature doit-elle trouver sa place dans la cité ? Jusqu'où pouvons-nous aller avant de déclarer "Toi, ci-devant, tout t'est permis, sauf parler de livres" ?
Mon coeur veut répondre à cette question tout autrement que ma tête. Et pour une fois, je pense que la pédagogue a peut-être moins raison que l'intellectuelle.

4 commentaires:

manouche a dit…

Chacun a le droit d'avoir un avis sur la littérature .Qu'il soit éclairé c'est ton job!
Je m'insurge contre la féminisation des appellations professionnelles, il s'agit d'une fonction et ça c'est féminin ,non?
Auteure, professeure phonétiquement à vomir!
Bise.

Mek a dit…

Lagacé parle de Camus en connard, comme il parle de tout en connard. C'est merveilleusement sincère et honnête, puisque c'est un connard. Pas un grand connard, non. Il n'aura jamais l'envergure des véritables élus de cette époque de connards. Il ne sera jamais un Martineau ou un Arthur. Mais bon, comme l'avait prédit Hamsun (et avant lui Nietzsche), les collines mépriseront les montagnes.

Le pauvre étend la panade de son gros bon sens aussi large que possible. Il a probablement lu trois livres dans toute son existence. On aura ensuite droit à sa critique de Surréal 3000, puis à celle du Playboy spécial Pam Anderson. Ça sera fini. On passera à autre chose. Ouf.

Amélie a dit…

En lisant Lagacé, je me disais que l'enfer était pavé de bonnes intentions. Il a toutes les meilleures intentions du monde, il veut aimer la littérature. Ses propos sont naïfs, parce qu'il n'a pas lu grand chose bien sûr, mais surtout, ils sont naïfs parce que son contact avec la littérature est sans danger. Tout le monde a le droit de parler de littérature. Ça ne doit pas être réservé aux professeurs! Surtout pas. Il faut toutefois au moins faire l'effort minimal de se laisser imprégner par les œuvres. Je ne pense pas que Lagacé pourrait lire un roman et remettre en question son métier de journaliste. De toute évidence, il lit, pas souvent mais parfois, pour se confirmer à lui-même son existence et sa pertinence. Il fermera toujours les yeux quand ça commencera à faire mal. Je consacre ma vie à la littérature et pourtant ça m'arrive souvent de remettre en question mon existence en lisant un roman. Ça m'arrive même d'être dégoûtée au point de ne plus avoir envie de parler de littérature. Pour savoir lire, il faut savoir être altéré. À lire Lagacé, je suis certaine qu'il serait d'accord avec moi sur ce point, mais je suis aussi certaine qu'il n'a aucune idée de ce que peut vouloir dire « être altéré ». Il n'a sans doute jamais vécu cette expérience.

Mek a dit…

Amélie, je te donne un chaton gratos si tu viens prendre un petit verre dans mon bled.