26 novembre 2009

Objet : amoureuse

Être amoureux est sublime, vertigineux et exaltant. Il n'y a rien à en dire et c'est un drame : on ne voudrait parler que de ça.
Pendant qu'ils écrivaient, ce matin, j'observais mes étudiants trimer dur - Desbiens leur donne du fil à retordre; heureusement qu'il y a eu lui dans cette session pleine de livres sans vie pour me rappeler que tenter d'élucider une parole difficile devant autrui veut dire parler cette parole, devenir cet autre - et c'est à tous leurs petits objets que je me suis attardée. À ces bricoles qui, étalées devant eux, annoncent "étudiant au travail". Le sac, le crayon, le livre craint ou méprisé, le dictionnaire, la gomme à effacer ennuyée ou nerveuse qui tourne souvent sur elle-même sont autant d'indices d'un état, d'un temps de la vie qui se déploie et se pratique.
Et je me suis demandé quels seraient les indices de mon amour, quelles seraient ces traces visibles et synthétiques de la chaleur qui m'habite à chaque seconde et jette sur ma vie entière une lumière nouvelle. Il y en aurait peu. Un cahier, sûrement. Une paire de lunettes, amochée ou perdue. Une image de faux pique-nique : couverture, ciel, arbuste et bonnes bouteilles.
Il y a toujours quelques babioles pour donner à voir ce que l'on est. L'idée que ce baluchon ne soit ni très criard ni très lourd me plaît bien. Par-delà, on devinera "amoureuse exaltée" à mon sourire et à ma parole superflue qui refuse de garder sous silence une fébrilité toute simple reposant au fond sur bien peu de choses, parfois petites, souvent très grandes.

18 novembre 2009

La remplaçante enrage

Quand j'enseigne un livre, je veux déborder, exulter, m'échapper. Je ne veux surtout pas d'un livre qui se tient bien droit là où on l'attend, qui parle bêtement de la "société", raconte une histoire, concerne l'actualité; qui ne saigne et ne m'emporte jamais. Or dans le rôle de la remplaçante, je suis prise pour enseigner cette session-ci deux de ces livres qui ne me disent rien de bon, à supposer qu'ils disent quelque chose.
C'est d'un ennui! Mais bon. L'ennui, ça se sublime. C'est le mensonge qui me dérange. Cette mascarade que je devrais jouer - "portez bien attention à la finesse de l'écriture" (si écriture il y a, on se le demande), "voyez combien ce propos sous-entend une vision du monde engageante et difficile" (alors qu' à trop le regarder, ces livres oublient de le penser, le monde) - m'est absolument insupportable. Donc je ne la joue pas. Je le dis, que ces livres auraient bien pu ne jamais paraître et je me serais très bien portée merci, qu'ils sont aussi superflus que mal foutus. Et que je suis coincée pour essayer d'en tirer quelque chose qui compte, ce qui n'est pas une mince affaire.
Le vrai travail qu'il faudrait exiger des étudiants, ce serait d'aller chercher partout ce livre qui voudrait dire quelque chose pour eux. Et qu'ils me disent pourquoi c'était ce livre-là plutôt qu'un autre, pourquoi cette parole-là plutôt que la leur. Mais - quel dommage - on n'offre pas encore de cours sur les plaisirs de la bibliothèque, au collégial. Parce que ce matin, j'aurais souhaité être une boussole plutôt qu'une enseignante, pour dire franchement.

11 novembre 2009

Approches

Ce midi, sur le trottoir et sous le soleil, j'ai croisé une jeune femme en noir qui écoutait une musique sur laquelle elle avait choisi de beugler parce que parfois, chanter ne suffit pas.
Ensuite, j'ai donné un cours sur l'essai sans réussir à dire ce que je voulais, en approchant trop maladroitement le coeur de ce qu'il aurait fallu montrer : qui essaye ne doit pas réussir, mais risquer.
Plus tard, en sens inverse, c'est un vieil homme un peu hagard qui a croisé ma route. Ses yeux ne savaient pas par où regarder -- c'est qu'il y a trop à voir pour que choisir soit tentant -- et son pas préférait l'oblique à la ligne droite, mais il a pris la peine de me dire "bonsoir". En souriant.
Et j'ai trouvé ce que je pourrais me reprocher : pour une fois, trop occupée à voir passer cette parole que je savais imparfaite, j'ai oublié qu'à travers le livre, c'est dehors que je dois regarder. C'est du dehors dont je dois m'approcher. Toujours.

02 novembre 2009

Quelques erreurs, parmi d'autres

Plusieurs ébauches infructueuses, ces jours-ci. Des trucs pas mal çà et là, épars, mais rien qui emporte et exalte comme je le voudrais chaque fois. Mon erreur : tenter de faire de chaque petite chose une grande, avoir trop d'ambition pour être le "sujet objectif" qui seul pourrait dire quelque chose qui compte.
Toujours pareil. Ceux qui essaient de déborder du réel s'égarent. On les voit partout. Et ceux qui s'y cloisonnent ennuient. Il faudrait non seulement "trouver", mais tenir droit sur "l'équilibre impondérable entre les deux".
Je dois donc apprendre à me poser, bancale et silencieuse, et chercher partout les traces de ce presque qui se dirait en chuchotant. Mais sans en avoir l'air. Parce qu'il faut le débusquer sans se faire voir, au risque de le faire fuir vers quelqu'un qui ne le trahirait pas.
Quant à moi, je suis encore loin, hélas!, d'être aussi modeste.
(Image : Autoportrait 2, 1973, Francis Bacon)