22 janvier 2011

Moments parfaits

Cette semaine, quelqu'un a pris le temps de me parler d'un livre. Vraiment. De le déchiffrer avec moi, sans le trahir mais en restant fidèle à ce qu'il lui avait fait vivre. Je me risque trop rarement à ce genre de choses; j'ai trop peur de ce que ma parole va aller jusqu'à dire. Je n'en apprécie que davantage ceux qui ont la générosité de penser que je peux les comprendre.
Samedi matin. Tôt. Je me réveille d'un coup, enthousiaste, heureuse. Le temps passe lentement avant que je puisse aller faire ce que j'ai envie de faire, qui par bonheur est aussi ce que je dois faire : aller analyser des oeuvres au musée. J'arrive parmi les premiers, j'ai tout mon temps, il fait soleil. Et cette heure passée seule dans de grandes salles devant ces toiles à essayer de recevoir ce qu'elles ont à m'offrir a ressemblé à un moment parfait.
Au moins pour cette semaine, Jean Leloup n'avait pas raison - il a souvent eu tort, mais au moins il s'est risqué : les moments parfaits peuvent durer, revenir, et ne s'arrêtent jamais d'apparaître pour peu qu'on veuille les y aider.

16 janvier 2011

Seule et moins seule

Hier soir, attablée seule au bout de la belle table pour 6 que j'avais préparée à mon étrange famille qui a finalement préféré ne pas venir, pensant à tous ces "amis" qui annulent des rendez-vous, ne tiennent pas leur parole ou ne me l'adressent carrément plus, et même en sachant mon amoureux magique juste là, pas bien loin, je me suis sentie bien seule.
Je me suis sentie bien seule à tenir promesse, à être engagée envers ces autres qui me trouvent souvent dure parce qu'ils ne devinent pas que c'est l'importance qu'ils ont pour moi qui explique mes exigences. Même des voix chantant un Mendelssohn doux et rond ne réussissaient pas à m'égayer sous la lumière tamisée choisie pour enrober un souper que j'espérais souriant.
Puis je me suis rappelé cette première analyse littéraire faite en secondaire 4 que je venais de retrouver en classant mes vieux papiers dans la journée, vieille analyse portant sur Le Mur de Sartre et s'attardant de façon un peu facile au concept de "mur" (ouh là là! cherché loin, ça!) ou de frontière tel qu'il apparaît dans chaque nouvelle. Et je me suis dit, dans ma tristesse, que ce n'était peut-être pas une mauvaise idée de retourner lire ce livre qui ne ressemble pas à ce qui a fini par m'intéresser en littérature, ce livre étranger à ce qui me travaille désormais. Que ce n'était pas une mauvaise idée de retourner voir la lectrice que je ne suis plus, cet auteur que je ne lis plus, ces personnages qui ont mal passé l'épreuve du temps, cette manière de raconter qui ne coule pas très bien; des choses, bref, qui me feraient sortir de ce qui m'est familier et de la petite solitude pas bien lourde que je laissais m'endolorir.
Eh bien ça a marché. Si je n'ai pas été transportée par cette lecture, elle m'a distancée de moi. Et si, plus tôt dans la soirée, j'étais au bord de me convaincre que je devais faire comme tout le monde - ne pas m'engager, ne pas m'emballer - pour être moins durement déçue, elle a réussi à m'éloigner de cette idée que je n'avais de toutes façons pas encore vraiment adoptée. Parce qu'il n'y a rien comme sortir de soi pour raviver notre curiosité pour un Autre qu'il faut apprendre à aimer dans son étrangeté même.
L'affaire de toute une vie, bien sûr. Mais je me compte chanceuse : j'ai quelques livres pour m'aider à ne pas oublier de m'y consacrer.

10 janvier 2011

Nouvelles actuelles

J'avais oublié la nouvelle, le recueil de nouvelles. Preuve que je ne la fréquente pas assez : j'ai l'impression de faire ce constat presque chaque fois que je la retrouve. Je ne m'en veux pas; ces allers-retours sont à l'image du rythme qui est le sien, coupé sans l'être, comme les notes accentuées d'une mesure sans silence. Quand même, pendant les vacances des Fêtes, moment où, que je le veuille ou non, je me surprends souvent à jeter un regard sur l'année qui vient de passer, j'ai trouvé qu'elle tombait trop bien pour que je la néglige de la sorte à l'avenir.
Parce que j'avais oublié comment elle fait être, comment je me dissous à travers elle et combien douce est sa manière singulière de me saisir sans rien forcer. Je suis captée par la nouvelle comme par le roman, et au même rythme, surtout. Mais elle n'en est pas un, roman. Elle prend le même temps pour devenir un monde, mais c'est parce qu'elle m'abandonne avant que je ne m'y sois attendue qu'elle est si exaltante. À la fin d'une nouvelle, je me retrouve dissoute un peu partout dans l'air qui l'entoure comme après un instant de passion fulgurante - "Les instants ont des couleurs, des parfums, des touchers, des lumières, mais ils n'ont pas de contour, ils sont sans limite, flottants comme des brumes." (p. 88) -, et je dois me reprendre sans rien brusquer, parce que, si elle est bonne, bien sûr, je veux qu'elle continue d'exister longtemps. Je veux ne pas pouvoir entrer dans celle qui la suit sans avoir gravé les traces qu'elle a laissées en moi pendant que je m'éludais quelque part dans un horizon qui dure.
Or cette manière de se déployer, de me déployer, m'en dit beaucoup sur ma dernière année, évanescente et dissipée. Après chaque épreuve, chaque grande joie, je me suis surprise à être juste un peu trop en dehors de moi. Je fonce dans chaque éclat de rage ou de rire la tête première. "Mon âme est dans mon ventre." (p. 158) Je crie et je pleure le plus fort possible pour ne rien perdre de ce que c'est, ma vie, mais j'ai beaucoup de mal avec le silence qui suit, que je fuis de cent façons étranges et mal choisies. Dans ma peur, je dois pouvoir deviner quelque bruit après le silence pour écouter ce qu'il brise ou fait éclore en moi. Sinon je n'écoute plus rien; je beugle. Ce qu'il faudrait, c'est que je m'inspire d'Ysa, cet "Ange de Dominique" pensé par Anne Hébert dans la nouvelle du même nom, et que j'apprenne à faire résonner en moi "les choses que la parole ne traduit pas", à me servir d'autre chose que du vacarme pour "parler sans détruire le silence." (p. 60)
C'est précisément ce que fait la nouvelle. Celle d'Hébert, en tout cas, dans son magnifique Torrent que je n'ai lu que dernièrement. Parcourant ses nouvelles, on ne s'éloigne jamais du mystère profond qui les fonde et nous emporte avec elles dans cette "aventure" au bout de laquelle "rien n'est impossible." (p. 75) On me dira que chaque grand texte continue de vibrer bien après qu'il soit terminé. Évidemment. Mais dans un recueil de nouvelles, les silences se suivent d'assez près pour que cette opération alchimique soit encore plus tangible et observable qu'à la lecture d'un roman.
Cette année, faute de mieux et peut-être tant mieux, ça a été ça, ma "magie des Fêtes". Ça a été, pendant cette lecture, d'apprendre à ouvrir mes yeux sur cette "lumière contre le sol (qui) semblait sortir du sol même" (p. 151) entre chaque nouvelle et qui m'éclairait d'une nouvelle façon dans un silence que je n'essayais pas de ne pas écouter. Je ne dis pas que ça y est, que j'ai compris une fois pour toutes; je ne suis pas du type à prendre des résolutions. Je dis simplement que cette lecture a clarifié ce que j'entrevoyais avec peine : "une fois qu'on a commencé de vivre, ça n'en finit plus" (p. 91), mais travailler son goût pour les pauses entre les éclats, et savoir les écouter, ça ne fait de tort à personne.
* Toutes les citations sont tirées du Torrent d'Anne Hébert publié chez BQ.