30 juillet 2010

Cynique et peureuse

J'étais en secondaire 5 quand j'ai retranscrit dans le cahier d'aphorismes que je prenais alors soin de tenir cette phrase célèbre de Cioran : "sans l'idée du suicide, je me serais tué depuis longtemps."
Eh bien, dix ans plus tard, je n'ai toujours pas le courage de me tuer, mais il y a des jours comme aujourd'hui où je préférerais mourir une fois pour toutes au lieu d'imaginer vainement que quelqu'un quelque part peut comprendre quelque chose. À commencer par moi.

21 juillet 2010

Valse indécise

Nu bleu, Picasso, 1902.
Il y a quelque chose de clair-obscur à mon été d'ivresse. Surtout beaucoup d'obscur, pour le moment. Quelque chose de brisé. Et dans l'instant expansif qui a précédé ma chute et étiré ma mémoire, je me suis revue cent fois, en souvenir ou en rêve, vivre la même chose. Je n'apprends pas.
J'ai quelques souvenirs précis, très brefs mais très prenants, de moments où, petite, je manquais de courage pour grimper un escalier. À la maison ou à l'école ça me faisait le même effet : d'une marche à l'autre, il me semblait que c'était un gouffre gigantesque qu'il me fallait traverser.
Je suis encore comme ça. Quand je commence un livre difficile, je voudrais déjà l'avoir fini. Et quand je dois frileusement affronter mes petits et grands mystères, risquer quelque chose qui m'est étranger - silence, foi ou impuissance -, je suis encore cette petite fille qui a bien hâte de finir ce qu'elle a peine à commencer.
Je n'apprends pas.

16 juillet 2010

L'ironie de la chose

Je suis une fille automatique. Tristement.
Par exemple, chaque fois que je peux me payer le luxe de lectures choisies, comme en ce début de vacances, c'est vers l'ironie populaire que je me tourne. Celle qui s'explique par formules-chocs et qui, sous le couvert de l'intelligence ratoureuse qui lui est propre, réussit à passer les pires atrocités. Dans le désordre, et avec une grâce très variable, ça veut dire Houellebecq, Toussaint, Beigbeder, Céline - j'en ai encore quelques-uns à découvrir, heureusement - Échenoz et quelques autres.
Cette fois-ci, c'est vers Nelly Arcand que je suis allée. Je la croyais du même acabit, provocante et sardonique, de ceux qui font sourire par trop-plein d'efficacité, de constats catégoriques un peu risibles mais bien tournés. C'est l'image que je m'en étais faite, même après l'avoir entendue plusieurs fois en entrevue, très sérieuse et comme pleine de cette mission qu'elle semblait s'être donnée, mais sans jamais l'avoir lue. Par snobisme ou désintérêt pour cette arrogance féminine qui continue de faire vivre les Christine Angot et autres Virginie Despentes, je n'avais lu ni Putain ni Folle, mais les événements que l'on connaît m'ont incitée, je n'y pouvais rien, à lui accorder une chance : elle faisait tout sauf du paraître, pour le moins. Je me suis donc lancée dans Paradis, clef en main pour partir les vacances - quelle idée !
Du malaise, j'en ai eu. De l'intelligence, un peu moins. Mais ça ne compte pas. Ce que j'y ai compris est beaucoup plus important : une fois la plus grande vérité du monde soulignée à gros traits, on a beau la savoir vraie, on n'y croit plus. Moi, du moins, je n'y ai pas cru. Dès l'ouverture, j'ai trouvé la phrase bancale, le message, lourd et la déprime, insistante. Et jusqu'à la fin, j'ai dû me répéter que c'était bien vrai, si vrai qu'elle avait choisi d'en finir. Parce qu'autrement je n'y croyais pas. J'ai honte de dire ça, soyez-en sûrs ! C'est terrible, voire immoral, d'affirmer une telle horreur. Les faits me contredisent, tout me contredit. Pourtant, je relis quelques passages et ça demeure : ça me semble faux.
En fait, l'ironie mordante à laquelle je m'attendais n'y était pas, mais il y en avait une bien plus grande : la vérité du monde et du réel ne suffisaient pas à me faire croire à celle du livre. D'ordinaire, la fiction m'apparaît, un peu comme à Aquin, beaucoup plus grande que le réel. Dans ce cas-ci, au contraire, une chance qu'il y avait le réel pour la faire grandir, sinon je l'aurais trouvée bien petite, cette histoire, face à l'immense douleur qu'on devine qu'elle voulait raconter.
J'admire le courage qu'il a fallu à l'auteure pour tâcher de mettre des mots sur ce qu'elle envisageait peut-être, je n'en sais rien, au lieu de se contenter d'un silence moins laborieux qui aurait évité les explications. Vraiment. Beaucoup plus lâche qu'elle, j'aurais raccourci les adieux comme je le fais toujours - passer à autre chose au lieu d'affronter la peine. Mais quand on se dirige vers le plus grand mystère qui soit, je suppose qu'on prend le temps de se faire une défense.
À preuve, à mon échelle ridicule, devant un peu de temps libre je me prends toujours à retourner vers le cynisme élégant que je connais si bien qu'il ne me force plus à rien. Devant juste un peu de temps libre, je choisis cette petite fuite-là, pas bien terrible mais pas bien courageuse non plus. Eh bien cette fois je n'ai rien pu fuir, il y avait une vérité plus forte que celle des mots pour me rappeler à l'ordre. Et c'est particulièrement savoureux de constater qu'une de mes lectures d'été les plus dérangeantes, et instructives, m'aura été fournie par un livre que je n'ai même pas aimé.