26 octobre 2008

De l'idéal.

Pourquoi ceci ?
Dans le monde des idées, il gronde dans la blogosphère, mot pourtant rigolo, une noirceur combative. La littérature et la pensée y sont souvent présentées sous la lumière du combat, voire de la mort. "Déprime explosive", lit-on ici. "Lucidité homicide", voit-on là. (Voir la liste de blogues dans le menu à droite.) Soit. Le chemin de la pensée est, je l'admets, celui de la difficulté. De la résistance. À soi, aux mots qui nous disent, au monde. 
Pourtant, je conçois davantage le travail du penseur comme une patience. Vibrante, grouillante - une "ardente patience", oui - mais patience tout de même, réserve ou retraite. Voilà en effet les mots qui réussissent le mieux, je crois, à traduire cette distance interrompue par quelques apparitions, quelques approches d'un réel dont on sait qu'il ne se laissera pas embrasser ni même, plus modestement, raconter. Même s'il y a dans l'expression "distance au monde", si chère à la poésie contemporaine, une certaine posture qui m'agace, je vois en elle beaucoup de justesse. La distance du penseur - et celle du créateur est peut-être autre - est, paradoxalement, une immense proximité au monde. Penser la littérature, ce qui revient, assez banalement, à réfléchir le monde, c'est se poser dans cet ailleurs qui ne saurait, encore une fois assez banalement, être sans un ici qui le fasse exister. Et tandis que le combat de la pensée, tout à fait légitime et nécessaire, se livre au coeur du tumulte, en plein dans cet ici, la pensée comme patience me semble s'ancrer dans ce lieu multiple qu'est le territoire de la retraite. Sur le seuil, au bord de la fenêtre. Et la parole qui en ressort dit forcément ce double sentiment du proche et du lointain, cette "distance", oui, mais dans le monde.
La vigueur combative des penseurs virtuels, la pensée de l'ici dont je suis du reste admirative, m'est plutôt étrangère. Pour ma part, c'est dans cette posture ambiguë, dans ce "là" que l'on devine voisin, si près même qu'on le frôle presque, que ma parole prend forme. C'est dans cette retraite que je sens grandir l'humanité en moi. Et comme je ne vois à la vérité aucune autre raison à mon entrée en littérature, l'habitation répétée, prolongée de cette retraite est sans cesse un idéal.
Pourquoi ceci, donc ? Parce qu'il me semble nécessaire que cette pensée risquée, incertaine, "chambranlante", comme on dit, occupe elle aussi un espace. Et parce qu'aucun espace, ni dans l'enseignement de la littérature - ou si peu! - ni dans les études littéraires, ne m'est proposé pour l'exprimer. 
Cette expression s'adresse bien sûr à un autre hypothétique. Je me lance d'ailleurs dans cette entreprise sans grands espoirs d'une réception nombreuse. Mais justement, il y a dans le geste désintéressé de l'approche une grande beauté. Peut-être ne m'adresserai-je qu'à moi-même, pour confirmer cette parole inconfortable, naïve sans aucun doute, dont je sens tous les jours l'urgence tranquille. Une tentative interrompue de correspondance m'a bien montré combien la lettre est un danger, dont je ne suis pas prête à courir les risques. Même si l'autre auquel je m'adresse sera sûrement absent, le monde virtuel le fait exister comme présence potentielle. Et comme je souhaite simplement proposer une parole qui me semble rare, qui sera souvent maladroite, évidemment, en pensant que d'autres, peut-être, partageront ses vues, cette potentialité suffit à faire exister ma voix.
Car l'idéal est beaucoup, aussi, dans ce peut-être