16 juillet 2010

L'ironie de la chose

Je suis une fille automatique. Tristement.
Par exemple, chaque fois que je peux me payer le luxe de lectures choisies, comme en ce début de vacances, c'est vers l'ironie populaire que je me tourne. Celle qui s'explique par formules-chocs et qui, sous le couvert de l'intelligence ratoureuse qui lui est propre, réussit à passer les pires atrocités. Dans le désordre, et avec une grâce très variable, ça veut dire Houellebecq, Toussaint, Beigbeder, Céline - j'en ai encore quelques-uns à découvrir, heureusement - Échenoz et quelques autres.
Cette fois-ci, c'est vers Nelly Arcand que je suis allée. Je la croyais du même acabit, provocante et sardonique, de ceux qui font sourire par trop-plein d'efficacité, de constats catégoriques un peu risibles mais bien tournés. C'est l'image que je m'en étais faite, même après l'avoir entendue plusieurs fois en entrevue, très sérieuse et comme pleine de cette mission qu'elle semblait s'être donnée, mais sans jamais l'avoir lue. Par snobisme ou désintérêt pour cette arrogance féminine qui continue de faire vivre les Christine Angot et autres Virginie Despentes, je n'avais lu ni Putain ni Folle, mais les événements que l'on connaît m'ont incitée, je n'y pouvais rien, à lui accorder une chance : elle faisait tout sauf du paraître, pour le moins. Je me suis donc lancée dans Paradis, clef en main pour partir les vacances - quelle idée !
Du malaise, j'en ai eu. De l'intelligence, un peu moins. Mais ça ne compte pas. Ce que j'y ai compris est beaucoup plus important : une fois la plus grande vérité du monde soulignée à gros traits, on a beau la savoir vraie, on n'y croit plus. Moi, du moins, je n'y ai pas cru. Dès l'ouverture, j'ai trouvé la phrase bancale, le message, lourd et la déprime, insistante. Et jusqu'à la fin, j'ai dû me répéter que c'était bien vrai, si vrai qu'elle avait choisi d'en finir. Parce qu'autrement je n'y croyais pas. J'ai honte de dire ça, soyez-en sûrs ! C'est terrible, voire immoral, d'affirmer une telle horreur. Les faits me contredisent, tout me contredit. Pourtant, je relis quelques passages et ça demeure : ça me semble faux.
En fait, l'ironie mordante à laquelle je m'attendais n'y était pas, mais il y en avait une bien plus grande : la vérité du monde et du réel ne suffisaient pas à me faire croire à celle du livre. D'ordinaire, la fiction m'apparaît, un peu comme à Aquin, beaucoup plus grande que le réel. Dans ce cas-ci, au contraire, une chance qu'il y avait le réel pour la faire grandir, sinon je l'aurais trouvée bien petite, cette histoire, face à l'immense douleur qu'on devine qu'elle voulait raconter.
J'admire le courage qu'il a fallu à l'auteure pour tâcher de mettre des mots sur ce qu'elle envisageait peut-être, je n'en sais rien, au lieu de se contenter d'un silence moins laborieux qui aurait évité les explications. Vraiment. Beaucoup plus lâche qu'elle, j'aurais raccourci les adieux comme je le fais toujours - passer à autre chose au lieu d'affronter la peine. Mais quand on se dirige vers le plus grand mystère qui soit, je suppose qu'on prend le temps de se faire une défense.
À preuve, à mon échelle ridicule, devant un peu de temps libre je me prends toujours à retourner vers le cynisme élégant que je connais si bien qu'il ne me force plus à rien. Devant juste un peu de temps libre, je choisis cette petite fuite-là, pas bien terrible mais pas bien courageuse non plus. Eh bien cette fois je n'ai rien pu fuir, il y avait une vérité plus forte que celle des mots pour me rappeler à l'ordre. Et c'est particulièrement savoureux de constater qu'une de mes lectures d'été les plus dérangeantes, et instructives, m'aura été fournie par un livre que je n'ai même pas aimé.

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