Parce que j'avais oublié comment elle fait être, comment je me dissous à travers elle et combien douce est sa manière singulière de me saisir sans rien forcer. Je suis captée par la nouvelle comme par le roman, et au même rythme, surtout. Mais elle n'en est pas un, roman. Elle prend le même temps pour devenir un monde, mais c'est parce qu'elle m'abandonne avant que je ne m'y sois attendue qu'elle est si exaltante. À la fin d'une nouvelle, je me retrouve dissoute un peu partout dans l'air qui l'entoure comme après un instant de passion fulgurante - "Les instants ont des couleurs, des parfums, des touchers, des lumières, mais ils n'ont pas de contour, ils sont sans limite, flottants comme des brumes." (p. 88) -, et je dois me reprendre sans rien brusquer, parce que, si elle est bonne, bien sûr, je veux qu'elle continue d'exister longtemps. Je veux ne pas pouvoir entrer dans celle qui la suit sans avoir gravé les traces qu'elle a laissées en moi pendant que je m'éludais quelque part dans un horizon qui dure.
Or cette manière de se déployer, de me déployer, m'en dit beaucoup sur ma dernière année, évanescente et dissipée. Après chaque épreuve, chaque grande joie, je me suis surprise à être juste un peu trop en dehors de moi. Je fonce dans chaque éclat de rage ou de rire la tête première. "Mon âme est dans mon ventre." (p. 158) Je crie et je pleure le plus fort possible pour ne rien perdre de ce que c'est, ma vie, mais j'ai beaucoup de mal avec le silence qui suit, que je fuis de cent façons étranges et mal choisies. Dans ma peur, je dois pouvoir deviner quelque bruit après le silence pour écouter ce qu'il brise ou fait éclore en moi. Sinon je n'écoute plus rien; je beugle. Ce qu'il faudrait, c'est que je m'inspire d'Ysa, cet "Ange de Dominique" pensé par Anne Hébert dans la nouvelle du même nom, et que j'apprenne à faire résonner en moi "les choses que la parole ne traduit pas", à me servir d'autre chose que du vacarme pour "parler sans détruire le silence." (p. 60)
C'est précisément ce que fait la nouvelle. Celle d'Hébert, en tout cas, dans son magnifique Torrent que je n'ai lu que dernièrement. Parcourant ses nouvelles, on ne s'éloigne jamais du mystère profond qui les fonde et nous emporte avec elles dans cette "aventure" au bout de laquelle "rien n'est impossible." (p. 75) On me dira que chaque grand texte continue de vibrer bien après qu'il soit terminé. Évidemment. Mais dans un recueil de nouvelles, les silences se suivent d'assez près pour que cette opération alchimique soit encore plus tangible et observable qu'à la lecture d'un roman.
Cette année, faute de mieux et peut-être tant mieux, ça a été ça, ma "magie des Fêtes". Ça a été, pendant cette lecture, d'apprendre à ouvrir mes yeux sur cette "lumière contre le sol (qui) semblait sortir du sol même" (p. 151) entre chaque nouvelle et qui m'éclairait d'une nouvelle façon dans un silence que je n'essayais pas de ne pas écouter. Je ne dis pas que ça y est, que j'ai compris une fois pour toutes; je ne suis pas du type à prendre des résolutions. Je dis simplement que cette lecture a clarifié ce que j'entrevoyais avec peine : "une fois qu'on a commencé de vivre, ça n'en finit plus" (p. 91), mais travailler son goût pour les pauses entre les éclats, et savoir les écouter, ça ne fait de tort à personne.
* Toutes les citations sont tirées du Torrent d'Anne Hébert publié chez BQ.
1 commentaire:
La nouvelle par rapport au roman procure un condensé d'émotions ;la "reflexion" qui suit la lecture n'est que plus profonde et durable . C'est un art difficile...
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