12 avril 2011

Méditations risquées

Je ne me crois pas spirituelle, en tout cas pas au sens où les librairies l'entendent. Je ne crois pas aux clés uniques d'interprétation du vivant. Mais je me découvre peu à peu, en dehors de toutes les écoles philosophiques auquel je suis incapable d'adhérer, une volonté un peu folle de nommer l'invisible indistinct auquel je suis seul capable de croire.
Ainsi, dans un cours d'histoire de l'art que je suis en ce moment avec beaucoup de bonheur, c'est avec une certaine déception que j'ai écouté les élèves critiquer vainement le manque de précision des manifestes futuristes et surréalistes qu'ils découvraient : "Oui, d'accord, mais l'ont-ils fait vraiment ? Mais qu'est-ce que ça veut dire, ils ne parlent pas plastiquement..."
A-t-on vraiment besoin de toujours expliquer ce qui dépasse les mots ? Faut-il vraiment préciser que ces mouvements donnaient surtout une impulsion créatrice, un souffle à des artistes ambitieux qui voulaient donner libre cours à une sensibilité désordonnée que l'histoire n'avait pas encore laissé s'exprimer ? La pauvre professeure tentait de détourner ces questions réductrices du mieux qu'elle pouvait. Au fond, je la comprends de ne pas vouloir s'y frotter : c'est précisément en s'éreintant à expliquer cet inexplicable auquel on croit qu'on peut finir par s'essouffler et par devenir blasé.
Mais dans mes cours comme ailleurs, je continue de m'y risquer avec l'énergie que cet indistinct - ce "vide médian", diraient les taoïstes - fait généreusement circuler en moi.
*
C'est presque toujours quand mon corps est en désordre que ma tête est capable de voir. De vraiment voir. De méditer, tiens, s'il faut appeler ça comme ça, la méditation étant pour moi surtout affaire de regard.
Et parfois, quand mon corps, vibrant de ce désordre, me laisse regarder ce qui circule en lui - c'est les yeux fermés que ça se passe, il va sans dire - il m'arrive de voir même au-delà de lui. Et alors, je deviens quelque chose comme ce "ravin du monde" cher à la pensée chinoise : parce que j'arrête d'être attentive à tout ce qui le dépasse, mon corps, sûr (?) de ce qu'il est, s'ouvre et s'estompe, pour ainsi dire. Et souvent, quand il laisse ainsi surgir et s'exprimer en lui tout ce qui n'est pas lui, c'est ce qu'il y a tout à côté qui se met à l'habiter. Et souvent, ce qu'il y a à côté, c'est le corps de mon amoureux.
Alors mon corps arrête d'être juste ce corps. Il devient quelque chose d'immatériel que je peux voir. Vraiment. Quelque chose qui se déploie comme un voile lumineux, fragile et bienveillant, autour du corps de celui qui éclaire ma vie et me révèle ce que je suis. Et quand ce corps que j'aime est mis en danger, fragilisé, défié - c'est le cas maintenant : mon amoureux est à la croisée des chemins, à une croisée de chemins - je ne deviens, le temps de cette méditation nocturne, presque plus rien d'autre que cette coquille, que cet enveloppement délicat qui espère donner un peu de souffle à un coeur qui en a besoin.
C'est dangereux. Je sais. Je peux me briser à trop vouloir protéger. Je peux même briser ce que je veux protéger. Mais le temps que ça dure, je suis multipliée, ouverte, vivante. Et amoureuse.

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