Et il y aura un enfant avec nous. Un enfant qui sera un enfant, qui criera, sautera, pleurera au mauvais moment. Il ne sera pas là très souvent - c'est une bonne manière d'apprendre : jusqu'à lui, qui en a un, je n'en avais jamais voulu, d'enfant -, mais il sera sûrement souvent là au mauvais moment. Il sera bruyant quand je voudrai le silence et indifférent quand j'aurai envie de lui apprendre la désobéissance - montrer la désobéissance joyeuse et l'importance du jeu et du savoir, voilà comment j'ai envie de m'inscrire dans sa vie. Même si, je dois souvent me le répéter, il y a toutes les chances que j'en disparaisse un jour.
J'ai vécu en n'imaginant jamais les choses durer. Les choses vivantes, j'entends. Mais cette fois, c'est un effort. Cette fois, il y a plus fort que moi mon doute et mon enfance seule avec une mère seule : il y a une vraie foi en un avenir lumineux et durable, une espérance si forte qu'elle se la joue certitude, et c'est risqué. Je dois m'en protéger.
Comme je n'ai jamais pensé mes amours en termes de durée, même s'ils ont tous, allez savoir pourquoi, duré, j'ai l'habitude. J'ai l'habitude aussi parce qu'enseigner au cégep, à coups de trois mois, en espérant, bien sûr, rester dans les esprits, c'est me lancer corps-et-âme et être là, vibrante et entière, perméable à toutes ces âmes qui me reçoivent, suspicieuses - "littérature", aux oreilles d'un futur technicien en comptabilité, c'est louche -, en les voyant partir sans pouvoir vérifier que moi et ces livres que j'ouvre devant eux, on continuera d'être en vie dans leur mémoire au-delà de quatre mois.
C'est vrai : mon engagement en enseignement a été, jusqu'à présent, à peu près inversement proportionnel au degré d'intérêt que j'ai senti aux premiers abords dans la classe qui me faisait face. J'ai choisi d'abandonner le doctorat précisément parce que ce qui me plaît, c'est convertir les non-convertis, convaincre les âmes étrangères à l'art et à la littérature que cette manière d'être au monde en vaut la peine; plus, qu'elle est nécessaire. Et le fait d'avoir cet été dans ma classe un étudiant en arts et lettres qui pense tout savoir me conforte dans ce choix : je n'ai pas envie de lui montrer qu'il en connaît moins qu'il ne le pense, j'ai envie de montrer aux autres qu'ils en connaissent au moins autant que lui.
Je suis un tremplin. J'espère l'être, à tout le moins. Un passeur, un éveilleur, voilà, oui, ce que je veux être. Pour eux, mes étudiants, et pour lui, mon "beau-fils".
C'est maintenant que ça va se jouer. Ce rôle de passeur que je joue tous les jours, est-ce que je pourrai, intimement, m'en contenter?
Une identité intellectuelle qui ne se soumet pas à la vie - je devrais plutôt dire qui n'agit pas dans la vie - n'est pour moi qu'un simulacre. D'ici quelques temps, je saurai si je me suis toujours menti.
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