Ces jours-ci je cherche mon père. J'ai un père. Il existe, et pense sûrement, selon ce que j'en sais, et aime peut-être - aussi difficilement que moi ? - et sait que je suis moi aussi, ici, juste là. Mais il ne vient pas. Il y a derrière lui et moi tout un passé qui m'échappe, qu'on m'a plus ou moins tu jusqu'à maintenant et qui m'importe au fond assez peu. Comment, donc, inventer la pensée quand on se risque, pour une fois, à affronter la vie dans ce qu'elle a de plus impensable - me suis-je vraiment confortée si longtemps dans l'illusion que j'allais pouvoir vivre sans savoir l'origine, celle dont on ne cesse de me dire qu'elle me ressemble tellement, la pensive, la timide, l'intransigeante ?
La littérature a très tôt été une issue. Je m'y suis vite trouvé une constellation de pères. Nabokov, Aquin, Céline, Ducharme, Gary. L'accueil, l'exigence, l'excès, le jeu, l'empathie. Et j'ai choisi de ne pas m'inquiéter de ce que la majorité de mes pères s'étaient suicidés; ils avaient donc vécu. Je suis aussi "venue à l'écriture (...) grâce (...) à la nécessité que j'ai d'éprouver des signes sonores qui me font plus vivante, même lorsque mon corps passe de l'endroit à l'envers du monde." Lisant et écrivant, pour reprendre Gracq, j'ai trouvé un lieu où la filiation était non seulement possible, mais réelle, euphorique. C'est la littérature qui a réorganisé - ou par elle que j'ai réorganisé - mon "univers en désordre", sans envers ni endroit, sans racine et sans ciel. Et quand le désordre aux alentours, l'incisif et le vif se faisaient trop présents, c'est là que je retrouvais le précieux silence, la pensée fragile d'où je prenais mon air.
Mais aujourd'hui, il n'y a pas de passé qui vaille. Si Denise Desautels "écri(t) après" la mort, "peu et à côté", je suis fondamentalement de l'avant. Je suis de cette exaltation qui précède tous les (re)commencements, de cette fébrilité du "qu'est-ce qui m'attend ?". Je suis moi aussi, comme cette poète de la mère, "au bord", mais dans l'ouverture, les yeux grands ouverts vers la lumière.
Pourvu qu'elle vienne, avec dans son sillon une silhouette souhaitée, fébrile peut-être, qui aura le visage de mon père. Et à partir de là, j'ose croire que la pensée saura se présenter d'elle-même, sous un jour nouveau.
(Citations tirées de Ce désir toujours. Un abécédaire, de Denise Desautels, p. 63, 61, 31, 7, 8 et 9.)
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