03 mars 2009

Faire silence

Ces jours-ci, même la lumière pâle de cette fin d'hiver ne parvient pas à éveiller en moi un sentiment de la vie qui me permettrait de sortir de l'espèce d'indécision fondamentale qui m'habite. Même le sommeil, depuis toujours mon ultime refuge, ne vient plus à moi avec autant de facilité qu'à l'habitude. Même lui, complice d'ordinaire si précieux, ne me soulage plus de ne pas savoir trouver mon silence.
Une amie avec qui je discutais récemment a suggéré l'idée, instinctive et forte, que savoir être en silence, c'est, enfin, arrêter de douter. C'est être dans la certitude ou, plus modestement, dans la plénitude, dans l'immédiateté de sa perception et de sa pensée. Parce que tant qu'on court après les mots, ça veut précisément dire qu'on n'a pas encore réussi à cerner notre vérité. Or j'ai indiqué d'emblée, sur cet espace, que l'idéal auquel j'aspire est beaucoup fait de silence. De la modestie d'un silence qui témoigne de ce que celui qui le pratique accepte sa place dans le monde. Mais on n'appelle pas un idéal quelque chose qu'on croit avoir atteint.
Catherine Mavrikakis, faisant elle-même écho, ici, à une idée de Chantal Guy, se penche, entre autres, sur la question du beau et du laid en littérature. Comme toujours -- et je m'en voudrais de ne pas ajouter que c'est aussi le cas pour la grande professeure qu'elle est --, chez elle les idées travaillent avec la vie, et celle-ci est venue, un peu, me fournir quelques clés. 
J'admire ces auteurs qui savent prendre parti. J'admire les Artaud, Céline et Bret Easton Ellis qui ont fait le pari du laid, de ce qui déborde, de ce qui dérange et qui accroche. Et qui, surtout, l'ont tenu jusqu'au bout. J'admire de la même manière les Jacques Brault, Virginia Woolf et autres Hélène Dorion qui ont choisi de faire parler le beau, la lumière. Et le silence. Je les admire tous parce que je ne sais pas encore me situer. Parce que je ne peux me penser que bancale, quelque part entre ces deux pôles.
Ceux qui me sont proches le savent : je donne, j'espère, je pense et je sens toujours trop. Je ne sais pas vivre la mesure. Pourtant, en littérature, ceux qui m'ont vraiment faite appartiennent tantôt à l'un, tantôt à l'autre des camps du beau et du laid. Et dans la pratique, je pense tendre le plus souvent vers le beau, vers une sorte d'humanité multipliée. Or si, comme je ne cesse de le répéter, la littérature et le savoir sont impensables en dehors de la vie, alors cela veut dire que soit je triche en littérature, soit je triche dans la vie. Ce que je ne peux, en aucun cas, me pardonner.
Si j'écris assez peu ces jours-ci, ici et ailleurs, c'est justement pour cette raison. Ne sachant plus de quel côté serait mon silence, je suis encore plus démunie devant l'immensité à dire que je sens là, toute proche, mais si fuyante et fragile que j'ai peur de me perdre et de la trahir à tenter de la circonscrire. J'attends donc, les yeux grands ouverts, qu'une fois ce "temps de parole bien passé" je puisse aller "faire mon silence".* Parce qu'alors, peut-être, je n'y serai plus si seule.
* Tiré de Va où de Valérie Rouzeau. (Le temps qu'il fait, 2002, p. 84.)

6 commentaires:

Mek a dit…

Je sais pas si connais Hemingway. Il a dit ceci, que j'ai toujours trouvé utile :

« Arrange-toi pour connaître des choses puis écris sur ce que tu connais de la façon la plus précise possible. »

C'est un plan de match clair, qui permet de générer beaucoup de bonnes pages. Le reste, la structure, tout ça, ça vient. Pas tout seul, mais ça vient.

J. a dit…

Oui, je connais ce beau mot d'Hemingway. Et si j'ai à choisir, je prends Faulkner, sa grisaille et ses "informités". Sans l'ombre d'un doute.

Quoi qu'il en soit, et peut-être que ce n'est pas du tout clair dans mon message, mais ce qui me ronge est plutôt la difficulté de dire tout court, de nommer - de penser, donc - que d'écrire.

Ce silence que je cherche à savoir habiter ne s'occupe ni de structure ni de précision, mais de vérité. Laquelle est probablement quelque chose comme le contraire de l'une comme de l'autre.

Mek a dit…

La recherche sera longue, alors. Il n'existe rien de tel.

J. a dit…

Il n'existe rien comme la vérité ? Pas même celle, informe et claire-obscure, qui s'assoit à côté de moi tous les matins dans l'autobus ? Pas même celle que Laclos, Rivard, Handke, Nepveu, Gogol, Heidegger, Turcotte, Céline, Saint-Denys Garneau, Woolf, Houellebecq, Levinas, Dostoïevski, Rousseau, et tous ceux qui comptent n'ont pas cessé une seule seconde de raconter ? Eh bien. Il faudra, et dès ce soir, réécrire l'histoire des idées.

Évidemment, je devine bien que cette affirmation relève de la posture. Parce que sinon, il faudra vraiment qu'on se taise tous, et pour de bon, parce qu'il n'y a rien d'autre à dire.

Mek a dit…

Je persiste et signe, et même, je réplique par la bouche d'un phare dont la lumière se répercute jusque dans votre message :

« La vérité, c'est une agonie qui n'en finit pas. La vérité de ce monde, c'est la mort ».
— Céline

Pas une posture, non, il s'agit d'une de mes rares convictions. Là où nous sommes peut-être d'accord, c'est que s'il est une vérité, elle est dans le style, donc dans le rythme, donc dans la vie, donc dans la… nature.

J. a dit…

Oui! Dans le rythme, dans la vie. Oui. Nous sommes tout à fait d'accord.

Et c'est finalement heureux que nous ne le soyons pas sur la question de la forme et du dire, parce que sinon, tout serait toujours dit de la même façon. Ce qui serait d'un ennui!