31 août 2009

Dès l'aube

Il y a eu très tôt lumière de la parole, un jour au coeur du souffle qui ne circulait pas. Les mots, ces roses, ont très tôt dit ce qu'il fallait : caresses, presques et morceaux de choses.
Mais si on a été sauvé, mené, on n'a pas su y rester : il y a aussi le désordre aux alentours.

27 août 2009

La forme du désir

Petite, comme tout le monde, je rêvais que je volais. Souvent. Mais contrairement à bien des gens, pour moi, c'était un cauchemar.
Je jouais avec beaucoup d'amis à un sport quelconque dans un parc. Deux incongruités, déjà : beaucoup d'amis alors que je n'en avais aucun, la pratique d'un sport alors que mon petit corps malade ne m'a jamais permis de le faire. À un moment, nous nous mettions tous à voltiger gaiement, à une hauteur encore bien raisonnable, sautant et riant. Mais immanquablement, je finissais par ne plus pouvoir redescendre. J'étais prisonnière de mon envol, et ne cessais de monter, monter, jusqu'à être si haute que plus personne ne me voyait, plus personne ne m'accordait d'importance ; je m'étais volatilisée. J'essayais de toutes mes forces de retrouver le même monde que les autres, de revenir parmi eux, mais peine perdue, c'était dans une angoisse atroce que je finissais par appliquer ce truc que j'avais trouvé pour sortir de mes mauvais rêves : mon personnage fermait les yeux très fort, très longtemps, et je finissais par me réveiller pour de bon, ouvrant les yeux d'un coup sec.
J'ai bien vite compris que ce rêve était à l'image de mon étrangeté au monde. Étrangère aux autres, même en voulant à tout prix être comme eux. Étrangère à moi-même, à ce corps qui ne m'a jamais obéi. Étrangère au monde, ne pouvant pas être incluse dans les lois toutes simples qu'il s'est donné pour fonctionner. Étrangère, et envolée.
Mais ça m'a pris tout ce temps avant de comprendre pourquoi c'était un cauchemar. Maintenant je le sais. Pourquoi, je veux dire. C'est parce qu'il avait la forme du désir.

13 août 2009

Le souffle et l'institution

Ici et ici, une blogueuse que j'aime bien y va de commentaires bien sentis sur les rapports entre l'institution et le travail en littérature. Sans cautionner l'ensemble de ses propos, je ne peux qu'être de son avis sur la distance que, trop souvent, les études littéraires - non, non pas les études littéraires ; ceux qui les encadrent - nous forcent à prendre sur le monde.
Je voudrais que mes lectures soient prises en compte comme telles par ceux qui surveillent mes recherches embryonnaires. Je voudrais qu'on m'accorde le temps de les gérer, de les assimiler, de les laisser incuber avant que j'aie à en tirer un apprentissage que je saurais nommer, discerner. Je voudrais, à la manière d'un Yvon Rivard, pouvoir leur dire : "Attendez, la littérature, ce ne serait pas simplement quelque chose comme lire, écrire, penser ?"
Mais l'institution n'est pas le lieu d'une telle patience, d'une telle naïveté. Cette rentrée bourrée d'échéances me le rappelle déjà. Et puisque j'ai besoin de l'institution pour savoir que j'existe en littérature - ça, je l'ai compris bien tôt - je me rue, comme elle l'exige, vers ce qui ressemble à un discours creux, taillé sur mesure pour ces chercheurs qui cherchent surtout, malgré une bonne volonté que je devine, à vérifier que mes travaux soient bel et bien "profitables". Ou "porteurs", comme on dit pour faire chic.
Je voudrais pourtant tellement plus que faire chic : je voudrais dire quelque chose qui compte. Mais ça demande du temps que notre monde ne m'autorise pas. Je devrai faire sans, et courir après 1) mon fric, 2) mon temps, 3) mon idéal. Voilà qui, je le crains, sera très épuisant pour l'asthmatique que je suis. J'avais sous-estimé combien mon Ventolin pouvait m'être utile pour la pratique de la littérature.
Comme quoi ce n'est pas parce qu'on travaille dans le monde des idées qu'on ne travaille pas dans le monde tout court. Indeed.

06 août 2009

Dans le romantique.

Aujourd'hui, mon désir n'a qu'un objet; aujourd'hui, je suis dans le romantique.
Je suis un peu personnage, avec ce corps que je gratte au sang faute de pouvoir crier tout ce que j'aurais à dire, avec cet ennui et ces recherches partout de ce qui pourrait faire changer la voie difficile que prend ma vie. Mais j'aimerais aussi être auteur, revenir en arrière pour réécrire correctement ce qui devait être dit, et me permettre une prolepse toute bête pour vivre ce qui ne sera pas vécu.
Aujourd'hui, j'aurais voulu être dans un livre si grand que j'en aurais oublié un réel qui n'a pas lieu, qui n'a jamais lieu comme on le voudrait.

04 août 2009

La voix de l'autre, pour la pensée

Dernièrement, j'ai eu l'immense privilège d'ouvrir les carnets d'un autre. D'un autre qui m'est cher, plus que cher, et qui me laisse avoir quelques prises, comme ça, sans que je l'aie vraiment demandé, sur ce qu'il est. Or si j'ai choisi de travailler sur le carnet pour ce doctorat encore très flou qui tarde à se dessiner, c'est beaucoup parce qu'il est la forme concrète de ce qu'est pour moi la littérature : une parole autre qui me dit intimement.
Bien sûr, ouvrir son propre cahier, c'est déjà un peu se faire autre. Relire son propre carnet, bien plus que relire ses travaux de recherche, bien plus que relire sa création, c'est se voir autre dans un passé qui se donne pour encore vrai à travers l'écriture. C'est se trouver étranger dans un temps qui ne nous appartenait déjà pas mais qu'on a tout de même, naïvement sans doute, chercher à saisir. Ouvrir son propre carnet, c'est, on le sait, accepter que le langage nous ait trahi, ou révélé, bien plus qu'on l'aurait voulu.
Mais relire le cahier de l'autre, c'est littéralement ouvrir son temps, ouvrir ce qu'il a été avant nous, chercher partout notre trace, alors même qu'on sait qu'on n'y était pas encore, se chercher partout à travers une parole qu'on reconnaît - c'est la sienne, après tout - mais qui agrandit du même souffle le mystère qu'est cet autre qui nous fait face.
Évidemment, on s'y retrouve parce qu'on y travaille, on s'y lit parce qu'on le veut bien, parce qu'on le veut trop; cette lecture de l'autre n'est pas une lecture ouverte, mais dirigée. Tant pis. Je ne crois tout de même pas pouvoir penser de plus grand don que ce don d'un passé, de naufrages, d'intuitions parfois naïves, parfois brûlantes qui appartiennent à un monde qu'on peut, le recevant, faire plus ou moins licitement sien.
C'est peut-être l'impulsion qu'il me fallait pour me remettre au travail. Ouvrir ce cahier m'aura rappelé qu'il existe quelque chose comme une parole de la vie, dans la vie. Ouvrir ce cahier m'aura rappelé que c'est toujours à travers l'autre que je retrouve cette vérité fragile qui me meut et que j'oublie trop bêtement : il existe une conscience commune, diverse et heureusement, d'un sentiment de la vie qu'il faut sans cesse multiplier.
Maintenant, il ne me reste plus qu'à la penser. Encore.