20 octobre 2012

Lire en mode survie

Les derniers mois ont été durs pour les citoyens québécois qui ont le coeur sur la main.


Je ne sais pas si les Charest, Zambito, Zampino, Normandeau, Surprenant et Accurso de ce monde savent que ce n'est pas seulement l'État qu'ils volent, mais les citoyens qu'ils vident de leur petite monnaie, oui, mais surtout de leur espoir en la vie. Je me suis laissé gagner par la colère, d'abord, qui m'a poussée à agir, manifester, m'informer. Maintenant, c'est un fort sentiment d'impuissance et une lourde déception envers la race humaine qui m'habitent quand me prend la folie de lire les journaux et de me renseigner un peu. Chaque jour, il suffit de quelques minutes de fréquentation de l'actualité pour que ma petitesse me saute au visage et que mes choix de vie - un engagement social qui passe par l'enseignement, des comportements plutôt écologiques et une conscience grandissante des belles fractures qui fondent l'humanité - semblent affreusement vides et vains.

Dans un élan d'angélisme, ce matin, mais aussi pour ne plus me laisser consumer par cet accablement, j'ai envie de dire ceci : la littérature peut quelque chose contre la corruption.

C'est une évidence. C'est même un danger : les moralistes ont souvent pour plus grand tort de penser avoir raison. Mais je n'entends pas ici réitérer les pouvoirs de la littérature contre cette pourriture du monde au sens abstrait de "purification des âmes" ou d'un illusoire ordonnancement de ce qui déborde et dérange, à la manière des moralistes, justement. Je veux carrément et simplement dire, en reprenant un peu les mots d'Yvon Rivard, que penser, lire et écrire sont des gestes politiques qui nous élèvent et nous préservent, ultimement, de la souillure environnante.

Un exemple. Alain Farah, sur son compte Facebook que je ne suis pas mais que j'ai zyeuté dans l'anonymat - honte à moi! - a récemment remercié Vickie Gendreau d'avoir osé écrire un livre différent, d'avoir risqué une littérature imparfaite mais solide, qui ne coule pas sur les jours sans laisser de traces. C'est un commentaire que j'ai trouvé très juste. Juste envers ce roman que je n'ai pas adoré mais qui a pourtant vibré entre mes mains le temps que je l'ai lu. Qui ne s'est pas inscrit dans le temps du quotidien et qui a au contraire altéré les jours qui lui ont été consacrés. Des jours pendant lesquels je me suis sentie plus forte et plus vivante - ce Testament est un livre sur la vie -, assez en tout cas pour ne pas m'effondrer devant un certain témoignage ahurissant ou une brutalité policière qui est loin d'être exceptionnelle.

Ce que je veux dire, en somme, c'est que lire et écrire m'aide à préserver mes forces vitales et à ne pas m'avachir devant la dégueulasserie ambiante qui se révèle à nous un peu plus chaque jour. C'est sûrement en mode survie, mais c'est au moins ça de pris.

Image : http://0.tqn.com/d/atheism/1/0/J/z/2/BooksKilledByFire-e.jpg


17 octobre 2012

Un lent retour à la vie, peut-être

Dans une entrevue que j'ai déjà regardée sur le web et que je ne retrouve pas en ce moment*, Élise Turcotte  racontait que si, plus jeune, elle ressentait le besoin d'écrire toujours seule, dans le calme et le noir, elle pensait désormais que l'écriture devait se faire avec la vie, dans la maison, sous le soleil, la porte ouverte et les enfants pas loin.

Je suis d'accord avec elle.

Ce soir, par exemple, si je m'étais mise dans les conditions que je croyais jusqu'alors essentielles à l'écriture - sous la pénombre, bercée par une musique méditative qui m'aurait donné l'illusion d'avoir laissé mûrir en moi des phrases qui se donneraient, ratoureuses, l'air d'être fin prêtes - je ne pourrais que vainement tenter d'expliquer la teneur de tout ce qui s'est éclipsé de ma vie dans les derniers mois : mon sens de l'humour, mon énergie,  l'illusion de ma force et d' "un pont vers le monde concret".**

Au lieu de ça, je me risque à écrire sur une nappe pleine de grains, accompagnée par le tapage d'un lave-vaisselle qui n'est plus tout jeune, entre deux séances de préparation de cours et de rigolades sporadiques avec mon amoureux.
Mon amoureux sauveur.
Mon amoureux magique.
Mon amoureux que je remercie le ciel de n'avoir jamais choisi d'aimer.

Et si ce que je me surprends à vouloir raconter se résume à peu de chose encore, c'est au moins entourée d'un peu de lumière que j'ose un peu choisir de ne plus voir dans ce que j'ai perdu une distance qui se serait creusée - encore - entre le réel et moi, mais une épaisseur nouvelle et vibrante de l'espace qui pourrait devenir le mien : le "frémissement secret" de l'air autour de moi qui, poreux, laisserait surgir en les magnifiant les lumières diverses de ce qui me pénètre chaque jour. ***



* Cet entretien s'inscrivait dans une série d'entrevues portant sur des poètes québécois, dont Turcotte, Nepveu et Dorion. Selon mon souvenir, il était proposé par le CRILQ ou la Maison des écrivains, mais bon, je n'arrive pas à le retrouver.
** Guyana, Leméac, 2011, p. 46.
*** Idem, p. 89 et 27.