28 février 2011

Sur la science et la littérature.

Récemment, on m'a questionnée sur l'épineuse question des pouvoirs d'ébranlement du littéraire face à ceux de la science. Et bien qu'il me semble qu'on pourrait lui consacrer une thèse entière, j'ai risqué une réponse, que je retranscris ici. Parce que c'est une question à laquelle les littéraires doivent songer tous les jours. Et puis parce que faute d'avoir quelque chose de neuf à dire, aussi bien répéter ce qui l'a déjà été pour que tous puissent y jeter un oeil...
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Une réponse possible peut venir de la philosophie, de Kant plus précisément, qui propose une distinction entre le scientifique et le philosophique qui pourrait valoir quelque chose ici. Oui, la science peut ébranler, mais la science ne peut faire le récit de cet ébranlement, le fouiller, ne peut revenir sur les crises qu'elle traverse par la voie d'un métalangage, sauf rarement. La science ne peut se détacher d'elle-même et donner aux ébranlements qu'elle cause leur véritable portée. Le discours philosophique peut le faire.
De façon analogue, la littérature est peut-être un espace où la fracture peut s'élargir en s'énonçant, pour ainsi dire, où une extrême présence à ce qui ne se dit QUE difficilement - d'où l'intérêt - fait apparaître cet ébranlement dans toute sa force.
Le propre des pouvoirs de révélations du littéraire concerne peut-être moins l'ébranlement - un cartésien pourra être plus profondément ébranlé par une découverte scientifique que par le récit sublime du "Bruit des choses vivantes", par exemple - que la capacité de s'attarder à cet ébranlement, de le raconter avec une extrême attention qui en révèle les profondeurs. En clair : il y a indubitablement une réelle beauté dans certaines images ou découvertes scientifiques. Mais la science ne peut pas s'attarder à cette beauté, ne peut pas la décrire avec les mots qui inscriraient cette splendeur dans une durée. Ce que peut faire la littérature, il me semble.
Ainsi, et pour finir avec le sourire, il y aurait peut-être un très bon roman à écrire à propos des ébranlements que traverse un scientifique incapable de les nommer, mais j'imagine mal une hypothèse scientifique tentant de mesurer les ébranlements du littéraire. Le potentiel explicatif de l'une dépasse largement celui de l'autre. À moins qu'on ne s'intéresse qu'aux choses observables. Mais nous sommes encore quelques-uns à prendre le risque de s'approcher d'un indicible qui transcende les faits. Heureusement!

13 février 2011

Beaucoup de lumière

Je ne suis pas une optimiste. Je ne suis pas une positive. Mais je ne suis ni toute de noirceur ni toute d'angoisse; je fais mon chemin.
Sauf qu'il m'arrive souvent de mourir un peu, tuée par les petits mépris des autres, par mes faiblesses et mes peurs, surtout mes peurs, qui me dépassent et me grugent. Je meurs un peu à chaque abandon, et je me donne le droit à la colère ou à la peine quand elle vient. Je ne transforme pas vite vite vite chaque épreuve en leçon, comme on doit faire désormais si j'ai bien compris. Je ne parle pas toujours au "je" quand je suis sous le coup de la colère et quand je suis excédée vraiment, il m'arrive même de crier. Et de pleurer. Souvent, pleurer.
Je suis en vie, quoi.
Je suis du côté de la vie. Du côté de ce qui déborde et dérange, de ce qui fait mal et penser. Et je crois bien que Gil Courtemanche l'est aussi. Quand il dit "On meurt tellement souvent au cours de la vie", ce n'est pas tant toutes ces morts, qu'il me fait voir, que toutes les renaissances qui les suivent forcément. Et pour qu'il reconnaissaisse dans l'être aimé "la musique que l'âme imaginait et que l'on entend soudain", il a fallu qu'il l'entende toute sa vie, cette musique retrouvée. Il a fallu qu'il y ait toujours quelque chose comme un fil tendu, un souffle qu'il n'imaginait pas se briser. Même quand on n'existe que par procuration - "Chaque mouvement vers le beau, la grâce, l'intelligence me retourne en toi." - on existe encore. Et c'est peut-être même simplement ça, exister : passer par l'autre pour multiplier la vie en soi.
Je suis en ce moment amoureuse et heureuse. Mais je continue d'avoir mal souvent. Et si j'ai voulu lire ce livre à la tristesse insistante pour me donner le droit à la douleur, alors j'ai bien fait. Parce qu'il m'a surtout montré que tout ce qui bascule et chamboule ne va pas de la vie à la mort, mais de la vie à la vie. Toujours.
Référence : Je ne veux pas mourir seul, p. 58, 84, 121.

05 février 2011

Petits matins

La journée commence comme ça.
D'une église l'autre - c'est mon trajet matin et soir -, je croise souvent des enfants fourmillants. Ou pas. Parce que c'est bien beau les enfants coquins et souriants qui chantonnent en marchant, mais il y a aussi les autres, tout seuls, pas tristes mais pas sautillants non plus, juste là. Évidemment, ce sont mes préférés. Je croise aussi la brigadière qui a l'air bête et qui ne répond pas quand je la salue, et l'autre au sympathique "Bonne journée ma belle!".
Et sur ma route, je pense à ces maudites bottes qui prennent l'eau de plus en plus, à ma tuque noire, la nouvelle, qui peine à tenir en place, je pense combien c'est fou ce que je fais vivre à mon corps, combien c'est facile sourire en marchant depuis qu'il est dans ma vie, combien j'aime ça depuis toujours et également, piler dans la grosse slush, la molle mais pas trop, combien ces mitaines, vraiment, c'était l'aubaine du siècle et presque, presque, combien j'ai du mal à sortir de moi pendant la marche matinale.
Puis je me souviens que je m'en vais passer la journée à corriger les textes des autres sur les livres des autres et que je devrai mettre tous les efforts à comprendre ce que tous ces autres veulent dire, et je me pardonne.
Je ne suis pas bouddhiste, mais ça balance, quand même, au final. Il faut l'admettre.