09 mars 2009

Un rire dans la lumière

Je ne sais plus bien  ce que je pense du roman. Des histoires, plutôt. Je ne suis en tout cas plus du tout convaincue qu'il vaille la peine de continuer de raconter des histoires comme on l'a toujours fait. 
Évidemment, les grands romans continuent de me fournir, au ralenti le plus souvent, comme en retrait, de véritables moments de beauté. Autrement, il faut que l'ironie, très prisée en littérature contemporaine, soit travaillée de manière à dévoiler un peu de cet idéal humain dont je ne sais me détourner et qui, trop souvent dans le roman, est sauvagement maltraité au profit d'une intelligence artificielle, d'un humour infatué qui brise mes ailes.
Parfois, quand certains auteurs, avec un peu d'habileté et d'invention, y parviennent - Échenoz, Toussaint, Paasilinna, notamment - je ne sais plus le temps qui passe en dehors de celui du livre. Ce fut le cas aujourd'hui, avec ce David Lodge qu'on m'avait recommandé et dont le Changement de décor, où l'on devine Dos Passos autant que Nabokov, ce qui n'est pas pour me déplaire, m'a délicieusement occupée toute la journée.
Quelques remarques, d'une ironie qui au contraire de celle qui me rebute ne fait que souligner la nécessité de l'idéal, m'ont fait bien sourire. Comme ce moment où Morris Zapp, un des deux "héros", un Américain professeur de littérature et spécialiste de Jane Austen, s'emporte contre le style de ses éminents collègues prétendument savants : "N'importe quel imbécile (...) pouvait concocter des questions ; c'étaient les réponses qui distinguaient l'homme de l'enfant. Si vous ne parvenez pas à répondre à vos propres questions, c'est soit parce que vous ne les avez pas suffisamment creusées, soit parce que ce ne sont pas de vraies questions. Dans les deux cas, vous n'avez qu'à la fermer." (p. 68) Après un rire franc, un malaise, évidemment. Je sais bien de quel clan je suis, après tout.
Ailleurs, j'ai trouvé pire encore. Ou mieux. "Aux yeux de Morris Zapp, toute erreur de critique provenait d'une confusion entre la littérature et la vie. La vie était transparente, la littérature opaque. La vie était un système ouvert, la littérature un système fermé. La vie était composée de choses, la littérature de mots. (...) (D)e toute évidence, si vous appliquez un système ouvert (la vie) à un système fermé (la littérature), les permutations possibles sont infinies et le commentaire définitif devient par là même une impossibilité." (p. 72) Cette fois, d'abord le sourcil qui fronce. Les postulats de base sont indiscutablement erronés. Et si la seconde partie de cet extrait semble bien vraie, ce n'est pas du tout, pour moi, un mal. Au contraire. 
Et alors vint le rire.
(David Lodge, Changement de décor, Paris, Rivages poche / Bibliothèque étrangère, 2005 (1991).)

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