16 novembre 2008

L'idéal aussi est le lieu d'un combat : celui du symbole

La pensée est un art de la mesure; le langage, un art de précision.  Sur un plan épistémologique, c'est moins le divorce entre les mots et les choses qu'entre la pensée et son expression qui pose problème. Il arrive malheureusement que celle-ci trompe celle-là.  Ainsi quand je me posais d'emblée contre la pensée combative, la lucidité homicide ou la déprime explosive. En effet, l'idéalisme aussi est un combat. C'est son expression qui n'en est pas un. 
Un combat contre la facilité - c'est faute de mieux que je choisis ce mot pour désigner l'attitude qui consiste à ne pas chercher à multiplier le sentiment de la vie que certains ressentent, semble-t-il, avec plus d'acuité que d'autres - qui se manifeste beaucoup, en littérature contemporaine, sous la forme d'une autofiction complaisante et faussement subversive. (J'insiste sur ce point : on devra vraiment m'expliquer la valeur des Nelly Arcand, Guillaume Vigneault et autres Marie-Sissi Labrèche de ce monde. J'ai beau faire, lire, penser, chercher, je n'y trouve rien qui vaille le nom de "littérature".) Mais ce combat est vite gagné.
Un combat, donc, surtout contre le symbole. Ce symbole, sur lequel repose encore beaucoup la dramaturgie, me semble en effet proposer un rapport obsolète, si j'ose dire, au réel. Obsolète parce que puisqu'on a admis depuis longtemps que la réalité observable ne suffisait pas à dire le réel, il est forcément inutile de nous le rappeler en tentant de nous faire refaire, chaque fois, ce chemin mille fois parcouru. Voilà pourquoi Fellini voyait juste en son temps,  et Arcand, moins. Voilà pourquoi raconter une histoire de toutes pièces me semble aujourd'hui relever tant du plus grand défi que de la plus grande inutilité. 
L'idéaliste veut dire ce qui, dans le réel, le dépasse. Adopter le symbole, dont une des incarnations est ce formalisme nouveau que je devrais réfléchir sous peu - auquel Kim Doré, Jean-François Poupart ou Bertrand Laverdure ne sont pas étrangers - c'est admettre qu'il est impossible d'approcher cette vérité indicible. Et au fond, le réalisme véritable, celui qui vaut encore la peine, c'est celui qui tente de dire ce réel imperceptible. Ainsi, le symbole nous éloigne de ce qui compte encore, "(l)a symbolisation implique un distancement du réel, un écart. (...) La littérature symbolique est un écran (...). L'image ainsi fuit toujours ce qu'elle veut exprimer. L'image est exilante : elle éloigne. À la limite, elle nie." (25 janvier 1961.) 
L'idéaliste ne peut que rejeter violemment cette négation : l'idéal existe, réellement, et peut être approché. Mais cette violence s'exprime par un choix, celui de la parole murmurée, de la modestie à l'égard du réel, et non par une distance ironique ou un langage assuré. Et c'est sans doute d'abord cette hésitation fondamentale de l'idéaliste qui exclut le recours à un symbole si lourdement et assurément signifiant.

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