04 mai 2010

Moi en littérature / Moi en littérature

Plus je "vieillis" - je fais un tel effort pour me tenir jeune (mon image au travail pourrait le confirmer!) et je suis encore si adolescente dans ma manière d'être au monde que "vieillir" est un bien grand mot... - plus je suis incapable de résister à cette tentation tout à fait populaire qui consiste à apprécier se "retrouver" dans les livres qu'on lit.
Dans La petite et le vieux, ce roman d'une collègue, Marie-Renée Lavoie, que je n'ai pas pu m'empêcher de lire même si je ne la connais pas parce que j'avais là la preuve qu'être professeure n'empêchait pas l'écriture, j'ai rencontré la première "Jacinthe" de fiction que je connaisse. J'ai lu un peu; je n'ai croisé jusqu'à maintenant aucune "Jacinthe" en fiction. Or c'est mon nom. Je ne l'aime pas - ce son, "in", m'irrite au plus haut point - mais je n'y peux rien. Malgré moi, la rencontrant là, je n'ai pu contenir mon envie de la comparer à moi. Or qu'y avait-il ? Une catatonique caféïnomane. Une femme silencieuse et triste dont l'ennui face à la médiocrité du monde ne faisait pas le poids face à une surdose d'excitant, "une femme au visage complètement fané dont les yeux sans couleur ne s'accrochaient à rien"*. J'aurais pu être déçue. Il n'en fut rien. Cette Jacinthe réagissait avec plus d'intégrité que moi à la triste réalité que nous constatons toutes deux. Pour la première fois de ma vie, j'ai aimé une autre "Jacinthe".
D'abord, la littérature était pour moi une sortie. De moi, enfin, de mon temps et de mon lieu. J'aimais Dostoïevski, Flaubert, les grands romanciers, Gogol, Céline, Nabokov, Houellebecq. Aujourd'hui, je ne sais même plus ce que veut dire "grand". Je ne sais que chercher une parole qui saurait dire ma petite inadéquation au monde, et ne trouver que bien peu d'intérêt quand je ne la trouve pas. La beauté, l'historicité, ne comptent pour ainsi dire plus dans mon appréciation de la littérature. Aujourd'hui, donc, j'aime surtout entrer en moi par la littérature.
Ce sera sans doute momentané : mon expérience de la lecture m'a trop souvent prouvé qu'il s'agissait chaque fois de redécouvrir de quoi il s'agit. Mais pendant que ça dure, j'ai bien envie d'en profiter. Parce que chaque fois que ça passe, je me surprends à être émerveillée par ce que la littérature peut encore faire sur ma vie. Et puis je cours volontiers le risque; j'y ai tout à gagner.
*
J'ai offert en cadeau un livre qui ne m'intéresse aucunement**, que jamais je n'aurais lu, et que pourtant j'ai désormais bien envie de lire. Celui à qui je l'ai offert est pour moi si admirable, si entier et humain, que j'ai beaucoup de peine à n'être pas attirée par cette parole dont je savais bien que dans son cas elle allait viser juste, et dans le mien - je suis, hélas, atrocement snob; vous avais-je dit que j'étais un peu adolescente ? - sembler superflue.
La littérature - quoi qu'en pensent mes étudiants - n'est pas un savoir mort, bien au contraire : sa pertinence se multiplie par l'expérience. Plus : la littérature n'est ni une science ni un art, c'est une communauté. De cela, et surtout toute seule devant mon écran, lisant, pensant et écrivant, je suis de plus en plus sûre.
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*Marie-Renée Lavoie, La petite et le vieux, Montréal, XYZ Éditeur, p. 189.
** Les Dérives de Biz, que vous trouverez dans tous les bons libraires.

3 commentaires:

Mek a dit…

Jacinthe ?! C'est joli, Jacinthe.

manouche a dit…

j'aime lire mais pas le livre objet.chaque ouvrage acheté dès qu'il est lu est offert à la personne adéquate en ..amour, la lecture est un lien.

manouche a dit…

j'aime lire mais pas le livre objet.chaque ouvrage acheté dès qu'il est lu est offert à la personne adéquate en ..amour, la lecture est un lien.