05 février 2009

Un don

Au travail, un rituel : le vendredi, lire pour les autres un extrait de ce qui nous habite pour le moment, qui nous inspire ou nous exalte. Aujourd'hui, pour la première fois, j'ai participé. Et c'est Handke, évidemment, que j'ai donné à lire. L'Histoire du crayon.
Et j'ai voulu tout bien. J'ai voulu le présenter, expliquer ce qu'il peut dire, pour nous qui sommes chaque jour confrontés à une indifférence généralisée quant à la chose littéraire, suggérer ce qui résonne dans l'ouvert vers lequel chaque pensée est tendue, montrer l'exigence et la nécessité au fondement de cette parole qui se montre en train de se faire. 
Puis je l'ai lu. Et je m'en suis voulu. De n'avoir pas mesuré, lové au creux de ce moment banal et ritualisé qu'est la lecture aux collègues, le sens en acte du don de la lecture qui était, lui aussi, en train de se faire. D'avoir péremptoirement pensé pouvoir ajouter quelque chose à ce don qui devait s'offrir sans attente. D'avoir agi naïvement, comme amoureuse de cette parole qui n'est pas la mienne, de m'être "transporté(e) tout enti(ère)"* dans cette offrande dont j'aurais dû m'éclipser bien plus tôt. 
Un don gâché est-il un don ? Je n'ai en tout cas pas su donner Handke. Mais peut-être était-ce illusoire. Parce que soudain ce n'est plus grave : il reste moi, ici, "qui jure fidélité aux étoiles et au bruit du vent".** Et ça suffit.
* Roland Barthes, "La dédicace" dans Fragments d'un discours amoureux, Paris, Seuil, "Tel quel", p. 89.
** Peter Handke, L'Histoire du crayon, Paris, Gallimard, 1987, p. 255.

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