19 février 2009

Mal à l'école

Un petit garçon est disparu, victime d'intimidation à l'école, fuyant ses agresseurs. Je ne peux rester de glace devant un si sombre événement, moi qui ai été très longtemps victime de cette violence sourde et venimeuse qui tenaille les tripes et ronge les réserves vitales, et moi qui continue de voir des traces de ce phénomène même au niveau où j'enseigne, où les rapports de forces se font peut-être plus subtils, mais non moins cruels.
Cette violence ne peut être minimisée. Quiconque l'a vécue sait combien elle marque au fer chaud, modifiant pour toujours notre rapport au réel, qui se vit après elle dans la peur et la honte. Une peur, une honte prenantes et opaques qui brouillent le regard, poussent aux pires mensonges voire à la perte de soi-même au nom de cette acceptation fugace et feinte qui, à cet âge, apparaît comme de l'amitié. 
Je ne saurai jamais dire combien la solitude et le mépris des autres ont violé mon enfance, et continuent de hanter mon rapport aux autres. Mais il y a Benoit Jutras qui l'a très bien dit.
De retour chez moi hier après-midi, j'ai découvert ma petite voisine les yeux rouges de larmes, assise en Indien sur mon balcon. En me voyant l'approcher, elle fixa le sol. Frais et verts dans le blond de ses cheveux, partout, des chardons. De minuscules croûtes de sans auburn constellaient le dessus et l'arrière de son scalp. Probablement les crétins de sixième dont elle m'avait parlé. Je respirai un grand coup et m'agenouillai devant elle; ses deux poings étaient soudés l'un sur l'autre, blottis dans les fleurs de sa robe. Lentement, elle décrispa sa poigne, et leva la tête vers moi : la maîtresse a dit que je m'habituerais. Sa voix était légère, irréelle, presque autant que cette paire de ciseaux en plastique rose qu'elle me tendait à la main, à la manière d'une dague.
Contre la fraîcheur et la verdure, contre la pure blondeur, la dureté des chardons. Contre les fleurs de la robe, une rage crispée dans des poings impuissants. Contre l'absurdité du geste, une foi aveugle dans l'autorité. Pour guérir la plaie, un risible plastique rose. Et pour que ça ne recommence plus, le goût de la mort comme solution. 
Heureusement, en déséquilibre au milieu de tout ça, il y a la poésie. Tout ce que je souhaite à David Fortin, c'est qu'il trouve la sienne, quelque part.
(Benoit Jutras, Nous serons sans voix, Montréal, Les Herbes rouges, 2002, p. 33.)

2 commentaires:

Mek a dit…

Je n'oublierai jamais. C'est tatoué.

Miléna a dit…

Moi non plus. Mon sac d'école vidé dans la neige, mes lunettes roses cassées sur mon nez, l'haleine de cigarette de la grande de sixième qui me crachait sa haine près du visage, et les ballons lancés si fort sur moi qui était la plus petite de la classe. On ne peut pas toujours être ailleurs ni se sauver. Pour ça, il faut le courage d'un désespoir qu'on n'endigue plus.