J'ai ouvert ce livre, L'étreinte des vents, sans rien y chercher. J'ai lu les mots. Ça a suffi. C'était presque un accident; hier, je pose les yeux sur lui, mes mains l'empoignent, je l'ouvre de nouveau après l'avoir abandonné bien vite il y a quelques jours. Puis je le lis en ne sachant pas que c'était de lui dont j'avais besoin.
L'expérience de la littérature est une expérience liante. Circulatoire. Depuis cette nuit, je suis liée à ce livre qui, vivant, s'est "tend(u) de tout (son) être - comme un arc - vers un autre être pour le rejoindre." (p. 9) J'étais cet être, accueillant ce que je n'attendais pas parce que je ne l'attendais pas. "On écrit pour lier les choses ensemble, lier les êtres, les vies", propose Dorion dans la langue simple et ouverte qui est la sienne. (p. 124) Eh bien si j'écris ceci au crayon, chose rare, dans un carnet que j'avais depuis longtemps délaissé, c'est que ce lien a eu lieu entre le livre et moi, et que je veux le goûter. Un espace s'est créé - je suis en son centre et à sa limite - qui restera mouvant, s'étiolera peut-être mais m'aura fait embrasser cette peur qui m'habite au lieu de chercher à l'éliminer. L'étreinte des vents est une percée contre la peur et pour elle, la traversée d'une rupture douloureuse mais lumineuse, parce que toutes les fractures mènent au consentement, la mienne pas moins que les autres, et parce que sans faille rien ne s'ouvre. "L'Amour se penche sur la faille, la dévoile et l'éprouve; c'est l'espace nécessaire à la métamorphose." (p. 93)
Depuis cette nuit, donc, je suis liée à ce livre. Mais je ne m'agripperai pas à lui. Je l'abandonne parce que notre proximité sera plus agissante dans la distance. Et c'est justement ce qu'il a surtout changé : ce qui s'est brisé, le Mystère derrière tes yeux, je veux les garder intacts. Apprendre à les aimer. Apprendre à préserver en silence, ou avec quelques mots éclaireurs mais bien peu, l'Infini qu'ils portent en eux et qui les fait grands mais cruels, passagers comme tout le reste.
Même à distance, je continuerai de vivre ce livre en moi, parce que voilà ce que "lire" veut dire, a voulu dire pour moi cette nuit : les mots s'acheminent vers ce qui est là mais trouble et si l'on accepte de le faire avec eux, alors ce n'est plus tant le monde qui se trouve transformé, mais soi-même, que l'on redécouvre. Ce "là trouble" qui se révèle n'est pas qu'en dehors de soi, il est en soi, ici, ailleurs. "Alors on n'est plus face à l'Autre mais enfin à ses côtés. Et l'on renoue avec soi." (p. 62)
Enfin. Oui.
1 commentaire:
"... et parce que sans faille rien ne s'ouvre..." Je pense aussi à ce passage de Leonard Cohen, magnifique, comme la plupart de ses textes:
There is a crack in everything
That's how the light gets in
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