23 août 2010

Trois petites choses

Parce que je m'étais bien peu trompée à lire tes yeux, quand c'est arrivé je me suis sentie vaincue. Mais même si je ne peux réfréner cet élan qui me pousse vers eux, j'accepte maintenant qu'il ne me mène à rien d'autre qu'à cette douce hypothèse : quand ton regard se voile, c'est qu'à cet instant tu existes mieux, plus, dans un ailleurs qui te ressemble.
Aujourd'hui, une connaissance qui ne tourne pas (en rond) dans les cercles littéraires a choisi de faire de ceci - "Je marche à côté d'une joie / D'une joie qui n'est pas à moi / D'une joie à moi que je ne puis pas prendre" - son statut Facebook. Ça voulait sûrement dire qu'elle n'allait pas, mais à moi, ça a fait du bien. Beaucoup de bien.
Et puis quand bien même je passerais ma vie à répéter les mêmes choses - transparence, humanisme, amour et idéal -, j'aurai au moins couru le risque de parler.

14 août 2010

(Im)puissances

En théorie, je peux penser l'abandon, le détachement.
En théorie, je peux regarder ma vie être colorée par L'étreinte des vents, qui ne parle au fond de rien d'autre que d'abandon, sans chercher à l'épuiser. Je peux accepter de devenir un peu la mère de ma mère, de voir changer mes amis d'une façon que je n'aime pas au point d'avoir envie de ne plus en faire mes amis, de voir se transformer un amour que j'avais cru lancé en autre chose d'encore plus grand qui ressemble peut-être plus à l'amour. En théorie.
Mais dans les faits, il y a une voix en moi qui crie très fort que ces gens ne sont plus mes amis et que c'est très bien ainsi, qui redevient une petite fille et pleure quand elle doit habiller sa mère qui n'en est plus capable et qui s'illusionne au point de croire que cet automne elle va convaincre deux ou trois étudiants que la littérature agit sur la vie, est la vie. Ce petit livre qui a transformé ma douleur en curiosité est là pour le prouver.
Peut-être dois-je combattre cette voix très forte qui résiste à l'abandon. Mais peut-être que je dois la laisser parler le temps qu'elle passe, parce que peut-être qu'abandonner c'est justement ça : laisser les choses venir, agir et accepter ce qu'elles vont avoir changé.
J'ai bien envie d'emprunter ce deuxième chemin. Alors oui, j'en fais encore une fois l'expérience, un livre peut changer une vie. Ce petit livre qu'il ne faudrait pas enseigner l'a bien prouvé. Mais ça, je ne saurai jamais vraiment le raconter.

07 août 2010

L'étreinte enlace, jamais n'emporte

L'autre nuit, précisément au moment où je m'apprêtais à ouvrir mon carnet pour me mettre en état de poésie, tout s'est éteint. Surprise d'abord par le bruit de cet éclair qui a endormi la ville, j'ai ensuite été apaisée, sereine. Et le gris du ciel, quand je suis sortie goûter ce rare silence des organes artificiels qui font courir la vie moderne, ne m'a pas ternie avec lui. J'ai plutôt été soulagée par la lumière timide de ce jeune matin bizarre qui laissait comme les choses en plan.
Mais je ne vis pas dans un roman. L'illusion romantique et son désir trompeur reposent d'abord sur un temps irréel, progressif, que les grands romans déjouent presque toujours, que la poésie a tôt fait de contredire souverainement. La route à parcourir n'en est pas une; je lui préfère les chemins tortueux, plus humbles.
Aussi quand cette semaine je me suis surprise à sourire souvent aux gens dans la rue, dans le métro, sans être vraiment heureuse, quand j'ai vu que mes sourires étaient des prières timides bien plus que des offrandes, je ne m'en suis pas voulu.
Ça reviendra. Ça reviendra.

04 août 2010

Présente. Et réconciliée.

J'ai les yeux lourds et le coeur en friche, labouré par des mots qui m'ont sauvée peut-être. Ceux d'Hélène Dorion. Encore.
J'ai ouvert ce livre, L'étreinte des vents, sans rien y chercher. J'ai lu les mots. Ça a suffi. C'était presque un accident; hier, je pose les yeux sur lui, mes mains l'empoignent, je l'ouvre de nouveau après l'avoir abandonné bien vite il y a quelques jours. Puis je le lis en ne sachant pas que c'était de lui dont j'avais besoin.
L'expérience de la littérature est une expérience liante. Circulatoire. Depuis cette nuit, je suis liée à ce livre qui, vivant, s'est "tend(u) de tout (son) être - comme un arc - vers un autre être pour le rejoindre." (p. 9) J'étais cet être, accueillant ce que je n'attendais pas parce que je ne l'attendais pas. "On écrit pour lier les choses ensemble, lier les êtres, les vies", propose Dorion dans la langue simple et ouverte qui est la sienne. (p. 124) Eh bien si j'écris ceci au crayon, chose rare, dans un carnet que j'avais depuis longtemps délaissé, c'est que ce lien a eu lieu entre le livre et moi, et que je veux le goûter. Un espace s'est créé - je suis en son centre et à sa limite - qui restera mouvant, s'étiolera peut-être mais m'aura fait embrasser cette peur qui m'habite au lieu de chercher à l'éliminer. L'étreinte des vents est une percée contre la peur et pour elle, la traversée d'une rupture douloureuse mais lumineuse, parce que toutes les fractures mènent au consentement, la mienne pas moins que les autres, et parce que sans faille rien ne s'ouvre. "L'Amour se penche sur la faille, la dévoile et l'éprouve; c'est l'espace nécessaire à la métamorphose." (p. 93)
Depuis cette nuit, donc, je suis liée à ce livre. Mais je ne m'agripperai pas à lui. Je l'abandonne parce que notre proximité sera plus agissante dans la distance. Et c'est justement ce qu'il a surtout changé : ce qui s'est brisé, le Mystère derrière tes yeux, je veux les garder intacts. Apprendre à les aimer. Apprendre à préserver en silence, ou avec quelques mots éclaireurs mais bien peu, l'Infini qu'ils portent en eux et qui les fait grands mais cruels, passagers comme tout le reste.
Même à distance, je continuerai de vivre ce livre en moi, parce que voilà ce que "lire" veut dire, a voulu dire pour moi cette nuit : les mots s'acheminent vers ce qui est là mais trouble et si l'on accepte de le faire avec eux, alors ce n'est plus tant le monde qui se trouve transformé, mais soi-même, que l'on redécouvre. Ce "là trouble" qui se révèle n'est pas qu'en dehors de soi, il est en soi, ici, ailleurs. "Alors on n'est plus face à l'Autre mais enfin à ses côtés. Et l'on renoue avec soi." (p. 62)
Enfin. Oui.