Les deux premières explications ont évidemment tout faux. En ce qui concerne la dernière, et sans compter qu'elle contredit la première, mon Dieu, je me confesse : je serais absolument incapable de formuler une pensée qui ne s'érigerait pas en grande partie sur celle des autres. J'accepte donc bien humblement cette troisième critique, et même, paradoxalement, avec une certaine fierté : elle confirme la conception que je me fais de la littérature comme modestie.
Quant aux deux premières... Je les comprends. Mais elles contredisent radicalement mon idéal, auquel j'aspire entre autres par le biais de cet espace virtuel. C'est en effet précisément parce que je ne conçois pas ma parole comme une chose finie, achevée, ni ma pensée comme une construction solide, que je réfère à d'autres qui m'ont précédée. C'est précisément par respect pour ceux-ci que je les lis, les pense, les enseigne, les partage. C'est parce que je sais trop bien ma naïveté et mes imperfections que je ne pourrais même envisager proposer un discours qui se prétendrait autonome. J'ai déjà écrit, dans mon premier message, que je concevais la pensée comme une retraite, une réaction. Or, la réaction est un retour, et la retraite exige une très forte conscience de ce qu'il y a tout autour. En fait, ma conscience n'existe pas en dehors de ça, "ce qu'il y a tout autour". "Intégrer trop de références" n'est qu'une manière de rendre hommage à ce qui me nourrit, de le faire un peu connaître. Et, surtout, c'est ce qui me permet de penser, c'est comment je comprends- j'ai envie de dire comme je pratique... - l'humanité.
Voilà pourquoi la seconde remarque me semble elle aussi rater sa cible. Vouloir construire un monde clos serait justement proposer une parole qui se croirait autonome, inconsciente de ce qui la rend possible. Je ne vois pas comment il serait possible, aujourd'hui, de penser raconter quelque chose sans penser aux autres, bien plus grands que nous. Faire référence à ceux qui nous entourent ou nous ont précédés, c'est ouvrir un monde, contrairement à ce qui m'est reproché. C'est montrer les possibilités multiples que l'histoire nous offre pour peu qu'on s'y attarde. J'insisterais peut-être : c'est précisément ne pas tomber dans la pensée close qui est le propre des discours plus populaires, psycho, philo et autres pop dont le principal défaut, à mon sens, est effectivement de se présenter comme des vérités achevées. Me placer face aux autres c'est multiplier ce que je suis, tout simplement. J'aurais envie de dire que je n'invente rien, que la phénoménologie ou l'immense Levinas l'ont dit bien avant moi, mais ce serait tourner le fer dans ma plaie! Comme j'ai choisi la littérature pour cette raison précise, parce qu'elle multipliait ce que j'étais, il est, n'en déplaise aux détracteurs, impensable que je cesse de la pratiquer de cette manière.
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Pour Noël, j'ai offert de la poésie à quelqu'un qui, a priori, lui est assez radicalement étranger. "Il n'y comprendra rien", m'a-t-on dit. Il y comprendra ce qu'il voudra, puisqu'on me le demande. "Alors, c'est un cadeau que tu te fais, plutôt qu'à lui..." Non plus. C'est un cadeau que je leur fais, aux poètes et à lui. Lui saura qu'ils existent, et eux existeront à travers ce qu'il retiendra d'eux. Je n'ai rien à voir avec cette histoire.