Rarement en effet mon corps est-il aussi présent à lui-même, aussi réceptif que dans l'éclair de la compréhension, dans l'enthousiasme de l'ébauche d'une parole ou dans la conscience du sens qui se révèle.
La littérature n'est pas, pour moi, un art de la tête - cela explique peut-être pourquoi, d'ailleurs, les études romanesques ou sémiologiques m'ennuient si souvent. Voilà une chose incompréhensible à ceux qui ne s'y frottent pas beaucoup : la recherche, la lecture et l'écriture ne sont pas des moments de réelle solitude, mais au contraire d'une humanité quintuplée, d'une fraternité vécue, avant toute chose, par la sensation.
Si dans la littérature on cherche souvent à transcender le corps, on privilégie son affaiblissement - c'est Hesse, c'est Proust, c'est combien d'autres - et on a du mal à investir sa normalité ou sa banalité - le De la maladie de Woolf est à cet égard très instructif - c'est précisément parce que l'habitation littéraire du monde est d'abord faite d'une exaltation, d'une hypersensibilité ou d'une mésadaptation corporelle. En témoigne l'importance accordée au corps dans nombre de journaux d'écrivains, de Kafka à Marie Uguay. Toute parole exprime un désir fou dont le corps est le socle premier.
Mais il y aura encore beaucoup à dire sur le désir et la littérature, précisément parce qu' "on approche toujours le désir par ellipses. Il nous parle en permanence de nous-même. Tous les paysages de la terre lui ressemblent." (Uguay, Journal, p. 195.)
Et parce qu'il y a dans cette totalité et dans cette permanence toute la grandeur et l'exigence de l'idéal.
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