17 août 2013

Fuck la poésie

Souvent, comme tout le monde, quand tout devient trop grand, trop lourd, trop plein, je vais chercher le vide à l'extérieur de moi - l'expression "faire le vide" est tout à fait exacte, je crois : le vide est une construction, rien n'est jamais vide, jamais. Je m'y prends de toutes les façons. Excès de toutes sortes, investissement disproportionné dans une activité sans importance, lectures compulsives pendant lesquelles les mots ne sont même plus des choses mais juste les mots des autres, qui déferlent vite pour faire taire mes mots à moi que je ne veux pas entendre.

Ces moments-là sont, pour moi, des moments de poésie.

Étonnamment, dans ces moments-là, ma pensée se fait poème. La poésie respire si bien qu'elle prend toute la place, elle vient en bloc, protège et coupe à la fois. Je ne suis pas certaine de pouvoir expliquer ça. Débordée, en tout cas, je pense en poésie parce qu'alors mes mots révèlent surtout l'écart entre eux et ce que je cherche vraiment à dire. C'est vrai tout le temps, mais surtout en poésie - les grands poèmes sont ceux qui parlent juste. C'est un travail immense. Alors quand je suis en poésie, je file vers les mots des autres, les histoires des autres, surtout, qui se déversent sur moi comme pour éteindre un feu, parce que bah, j'en ai déjà bien assez comme ça. Bref, je suis lâche en poésie comme dans la vie, et même quand je pense en poésie, surtout quand je pense en poésie, je fuis les poèmes eux-mêmes.

Mais malgré tout la poésie est en dehors de la poésie. Aussi quand je suis en poésie, je ne lis plus de poésie, et je n'en écris pas non plus, mais j'y suis pourtant, en plein dedans. Le poème est un silence qui fige les assauts du monde. Ça force un temps pour la respiration, oui - un poème est un intervalle prolongé, je ne suis pas la première à le dire - mais ça les place aussi juste là, devant moi, ces assauts que j'aimerais mieux ne pas devoir encaisser. Voilà pourquoi je ne serai jamais poète, et voilà pourquoi j'ai pour les poètes une admiration immense : eux seuls ont le courage d'affronter cette vie-là, qui ne se raconte même pas.

Les études en littérature étant ce qu'elles sont - il faut faire des choix -, j'ai surtout travaillé la poésie. Et pourtant la poésie ne me secourt pas comme les histoires peuvent le faire. Je peux la penser, la poésie, je peux la vivre aussi, et je la vis souvent, mais quand les choses deviennent réelles, il me vient un rythme, une mesure qui ne peut se dire qu'en prose. J'ai besoin de la nuance de la prose pour rendre compte de la déferlante, du souffle qu'écrivant, je cherche à restituer.

Bref, quand je suis en peine d'amour, je suis en poésie. Et quand je suis en poésie, j'écris de la prose. Au fond tout ceci aurait pu se résumer comme suit : "Je suis en peine d'amour. J'ai mal. Ça ne se dit même pas." Mais ça aurait été beaucoup trop simple.

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