02 août 2013

L'urgence se goûte dans la patience

Depuis quelque temps, et c'est nouveau dans ma vie, je subis assez fortement ce qu'il convient d'appeler "l'urgence d'écrire". Mais je la subis avec méfiance.

Rien ne m'irrite en effet davantage que ces auteurs qui s'affichent publiquement comme étant incapables d'arrêter d'écrire, alors qu'en fait rien n'est plus dur, rien n'est plus aride que l'écriture. Cette posture me semble forcée, obscène. Qui peut vivre avec le désir de la sécheresse des mots devant le mouvement des choses qui appellent à être racontées ? Qui peut vivre avec le goût de la solitude cosmique, terrible, de l'écrivain devant ceux à qui il voudrait rendre justice en écrivant, devant la vie dont il veut se rendre digne ? Venant d'écrivains populaires, d'écrivains qui écrivent des histoires où les choses se passent, je peux le comprendre. Amélie Nothomb qui dit ne pas pouvoir vivre sans écrire, je lui pardonne, c'est sûrement vrai, parce que je peux comprendre qu'on ait envie de cette fuite-là, dans des personnages, des événements qu'on n'avait pas prédits et qui nous emportent ailleurs que là où on se sent être. Mais les écrivains qui m'importent disent rarement l'urgence avec une telle facilité. Leur oeuvre est là pour témoigner de leur incapacité de vivre sans écrire, mais je ne les penserais pas capables de dire "un jour sans écrire est impensable". Parce qu'ils savent tous qu'un jour sans écriture est un jour léger, libre, où on peut seulement voir, sans regarder.

Or cette année, j'ai écrit un premier truc d'envergure, à ma modeste mesure, et depuis que je l'ai terminé, je ne pense qu'à me relancer. Ça a été terrible - j'étais seule, je criais, je pleurais - et ça a été long. Mais je veux que ça recommence. Naïve et ambitieuse, je fais l'expérience du monde à la lumière de la manière dont je pourrais le raconter. Quand je m'en rends compte, je me censure, évidemment, mais parfois je succombe presque à l'envie de me dire que moi aussi, j'aurais le droit de m'abandonner.

Si je résiste encore à l'urgence d'écrire, c'est qu'il me semble qu'elle aboutit souvent sur la médiocrité. Ça m'a pris 10 ans pour écrire 120 pages que je trouve dignes d'être lues. Je ne veux pas me précipiter vers les suivantes, que je voudrais aussi essentielles, aussi pressantes. Alors d'ici à ce que les écrive, je les sens venir avec patience, je goûte leur urgence avec surprise, et, dans les bons jours, avec modestie.

Ça aussi, c'est dur, mais je veux le faire durer.

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