21 juin 2009

En petits travaux

L'écriture est une chose grande qui me rappelle ma petitesse.
Pour écrire
ceci, j'ai relu Le bruit des choses vivantes, ce livre si fort qu'il ouvre l'espace que nous tremblons d'habiter encore longtemps après l'avoir ouvert. Pour écrire ceci ou ceci, c'est le quotidien - cette vie qui continue avec la littérature, et en dehors - et d'autres lectures-phares qui ont été les tremplins vers une parole qui pouvait dire quelque chose qui compte, vers une parole se tenant en équilibre, précaire mais fière, quelque part au milieu des contradictions qui fondent l'existence et tissent les liens entre la littérature et la vie. Pour écrire la seule chose que j'aie écrite, au fond, mon mémoire de maîtrise, c'est la poésie d'Hélène Dorion, et la pensée de Peter Handke, qui, même dans les moments où l'écriture devenait un petit travail, une discipline bête qui me prenait à calculer mes "quarts" et mon nombre de pages par jour, me rappelaient la grandeur de quelques mots - le moins de mots possible, presque toujours - et me redonnaient la naïve ambition d'aspirer toujours à plus.
Quand j'écris avec de telles lumières dans ma perspective, quand, les bons jours, c'est mon corps aussi qui écrit, frénétique et emporté par ce qu'il sent de précieux qui s'énonce sous ses yeux, alors, oui, je sens que j'y arrive presque : je fais entrer la littérature dans la vie. Dans la mienne, dans celle qui se trame subrepticement partout autour. Parce qu'écrire, dans ces rares moments, contamine le reste. Exultante en littérature, j'exulte aussi dans le métro, au café, en classe, dans tous ces ailleurs qui acquièrent alors un souffle nouveau. Et c'est un cycle, puisque, on l'aura deviné, c'est aussi ce monde qui fait de la littérature une chose si exaltante.
Mais ces jours-là sont rares. Très rares. Autrement, comme maintenant, je ne sais pas bien sur quoi partir, j'ai beau me lancer, j'achoppe toujours à un point ou à un autre, de non-retour je ne dirais pas puisque j'y reviens malgré moi, mais névralgique, en tout cas, qui enlève à la parole ce qu'il peut y avoir de vital en elle.
Mais le plus grave ce n'est pas ça; nous connaissons tous les aléas de la vie de créateur. Non. Le plus grave, c'est que, les mauvais jours, c'est moi aussi qui perd de mes forces vitales déjà fragiles, ce sont tous ces ailleurs qui deviennent gris, fuyants, petits, c'est le monde même qui, dans l'ombre de quelques lueurs littéraires, se tamise. Et en retour, les livres non plus ne vibrent plus de ce qui fait leur rareté. Je cherche, je cherche, je ne tombe pas sur celui qui - ça arrivera, je le sais, ça finit toujours par arriver - donnera au monde l'épaisseur qu'il lui faut pour que penser, lire et écrire soient nécessaires.
Après avoir écrit quelque chose qui vibre et insuffle au monde une énergie grisante, c'est encore pire. Je suis prisonnière de ma petite parole, de mes petites idées, des petits livres dont il me semble être entourée.
Ces jours-là, l'écriture n'a rien de plus élevant que de remplir des boîtes de biscuits à la chaîne. Elle laisse la même impression de vide, de grisaille.
Elle fournit juste un petit peu plus d'angoisse.
À peine.

4 commentaires:

v. a dit…

Pour ajouter à ce que tu dis à propos de ces livres qui donnent "au monde l'épaisseur qu'il lui faut pour que penser, lire et écrire soient nécessaires"... Yvon Rivard disait – c'est peut-être Handke qui le disait, mais l'inspiration de toute façon serait la même – que les grands livres – grands pour soi à tout le moins – sont ceux qui nous donnent à notre tour le goût ou la force d'écrire, qui font de l'écriture une nécessité après l'expérience de la beauté. J'ai toujours pensé que c'était vrai.

J. a dit…

Tout à fait vrai, en effet.
Et bien dit.

La Méduse et le Renard a dit…

****

J.Earthwood a dit…

Grands ou petits, nos écrivons tous de manière plus ou moins perceptible nos livres de vie(s)... Respirer, voilà ce qu'est pour moi écrire... Je vous invite ?!...