01 septembre 2010

Ceci n'est pas une menace de meurtre.

Je passe ma vie à essayer de convaincre de jeunes adultes que la littérature est un art qui veut dire quelque chose pour eux. Un art qui peut changer leur regard sur le monde et les choses, sur eux-mêmes surtout; un art qui peut faire d'eux de meilleurs êtres humains.
Alors quand je vois à la télévision une publicité populiste aussi bête que la plus récente de Réno Dépôt, j'enrage. "C'est la fête du travail! Alors qu'est-ce qui sera plus plaisant ? Lire un roman (avec un ton méprisant)? Ou (ton exalté) poser des gouttières?"... LIRE UN ROMAN, PARDI!
Lisant, j'ai vécu des drames immenses, des joies lumineuses, des angoisses profondes, j'ai voyagé partout, rencontré des gens plus grands que nature, me suis rencontrée moi-même, surtout, et découverte telle que je ne me serais jamais devinée. Et même si je n'ai jamais posé de gouttières, je devine qu'il y a bien peu de chances que cette "expérience" soit à la hauteur de celle que permet la lecture d'un livre. Lisant, je suis en vie. Besognant, je m'oublie, et j'oublie l'espace vivant qui grouille autour de moi.
Que ce mépris des livres soit récupéré et utilisé à des fins publicitaires ne m'étonne pas. Existe-t-il en effet un lieu plus déshumanisant que la publicité commerciale ? Mais qu'il soit de plus en plus observable, et dans toutes les sphères de nos vies, me désole et me chagrine. Cela traduit une dépréciation tragique de tout ce qui peut rester d'humanisme dans notre monde. Et la "journée internationale du livre et des droits d'auteur" n'allège en rien ma peine, mais la renforce : c'est tous les jours qu'il faudrait empêcher les abrutis d'oser prétendre que lire apporte moins que rénover une maison qui n'a souvent besoin de rien d'autre que d'être remplie de moins de trucs inutiles. C'est tous les jours qu'il faudrait rappeler de toutes les façons possibles que lire est un besoin réel, lui, qui rénove notre vie plutôt que notre balcon.
Ce n'est pas bien bien original, comme crisette, mais sa répétition ne diminue en rien mon exaspération. Même si, malgré tout, il faut bien admettre que si j'enrage, ça me fournit aussi un souffle de plus pour remplir mon rôle du mieux que je peux, pour continuer de penser qu'une vie sans littérature est une vie moins pleine, et que Normand Brathwaite pourrait bien disparaître mystérieusement de notre espace public, ça ne me ferait pas un pli sur la différence.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est tellement frustrant ce genre de trucs. Je me suis rendue compte à la longue que regarder la télévision m'épuise à cause de publicité comme celle-là. En même temps, je me dis qu'il faut continuer à regarder le mépris bien en face, sinon on va le perdre de vue! Bon courage avec tes étudiants!

J. a dit…

C'est en regardant le tennis (avec passion!) que je suis tombée sur cette horreur. Tu as bien raison : il faut faire face au mépris pour le confronter. Quand même, c'est plus fort que moi, chaque fois, il m'exaspère... Merci pour le courage; contrairement aux attentes, mes jeunes "réformés" sont pas mal meilleurs que les autres, jusqu'à maintenant!

Mek a dit…

Une des pubs qui m'a fait quitter l'Amérique mettait en scène quelques parodies de messages publicitaires vantant les vertus de l'apparence. Puis arrivait ce message qui disait grosso-modo : «Ce n'est pas l'extérieur qui compte, mais ce qui est caché au fond de vous… prenez les pilules "Magic-o-matic", qui soignent votre flore intestinale!»

Je crois que ça a rapport, tsé. l'Ogre nous ramène systématiquement à l'irrigation des saletés poisseuses pour nous éviter de cogiter. Pour nous barrer la route du songe, oserais-je presque…

Anonyme a dit…

Votre œil est non seulement déterminé, mais il scrute l'horizon, découvrant des entrelignes révélatrices de vous même.Ces parties qui, aux neurones des autres cerveaux ne sont pas perceptibles. Merci de nous dévoiler votre regard.
Didier

Anonyme a dit…

La littérature n'a pas besoin de ton aide pour être lue. Tu ne vas rien changer et personne. C'est la vie qui est inspirante, la lecture n'est que préparatoire.

-h