12 janvier 2009

Le livre, un ami

La relation amicale est au fondement de toute entreprise littéraire ou philosophique. 
Sur un plan historique, il est en effet inutile de rappeler que sans elle, jamais Socrate n'aurait trouvé de voix à travers celle de Platon, et jamais les salons des XVIIe et XVIIIe siècles n'auraient été le lieu de tant de réflexions morales. De l'amitié pédagogique entre l'élève et son maître, dont ma préférée reste celle qui lie Ferdinand à Courtial dans Mort à crédit, à l'accompagnement silencieux unissant les personnages d'Arto Paasilinna en passant par les camarades de beuverie qui animent les aventures beigbederiennes, l'amitié est, en littérature comme dans la vie, un canal vivifiant. Et c'est précisément ainsi qu'elle a toujours été conçue, exigence d'un échange et d'une humanité partagée. Un facteur de vie, en somme. Or c'est justement de cette façon que je comprends la lecture. Lisant, je me saisis à travers l'expérience de l'autre, qui en retour n'existerait pas en dehors de la réception que j'en fais. C'est une évidence : la lecture met en oeuvre, littéralement, la réciprocité placée depuis au moins Hésiode au fondement de l'amitié. 
Dernièrement, commentant le projet d'un ami qu'il m'avait proposé de lire, j'ai pu vérifier combien cette amitié-là, celle qui passe par le livre, est exigeante. Mon engagement à répondre le plus sérieusement possible à ceux dont je perçois qu'ils cherchent aussi à multiplier l'humanité en eux exige de moi une transparence difficile qui devient carrément épuisante quand elle prend la forme d'une réaction. La lecture devient alors, Eco l'a un peu dit, une réécriture, une correspondance qui ouvre les possibilités de l'oeuvre : je dois répondre de ce que je deviens à travers l'offrande d'autrui, et la grandeur de son don ne trouve rétribution qu'au prix d'un effort que chaque mot renouvelle. Seulement voilà, je sors grandie chaque fois de cet effort que je fournis, qu'il passe par l'écriture ou non. Et l'amitié me profite alors autant à moi qu'à l'autre. 
Et nous revoilà partis pour un tour.
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Récemment -- les astres sont alignés, comme on dit -- plusieurs amis m'ont témoigné, plus vivement qu'à l'habitude, leur reconnaissance ou leur affection. En toute franchise, il n'y a qu'une chose que je puisse leur répondre : je ne suis que peu responsable de l'engagement qui caractérise mes rapports avec les autres, ce sont plutôt tous ces livres que je lis, du reste très souvent toute seule, qui m'apprennent chaque fois ce que veut dire être un ami. 

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