31 mai 2013

Amours adverses

Pour une rare fois dans ma vie, récemment, j'ai rencontré quelqu'un que je n'ai pas aimé. Profondément. D'emblée, sans explication, sans tergiversation, ça s'est révélé : cette personne et moi, nous appartenons à des mondes séparés.

Plus, parce que distance ne veut pas toujours dire malentendu : cette personne appartient au monde du mal tel que je le comprends. Une idéaliste a toujours en vue l'idéal et son contraire; on ne peut être idéaliste sans être essentialiste.

Il m'est arrivé souvent de croiser des gens qui m'irritent mais dont je soupçonne une saveur qui pourrait me les rendre malgré tout sympathiques. Une pimbèche séductrice qui parle fort et tourbillonne, par exemple, je lui pardonne, je la comprends. Pareil pour une intellectuelle tourmentée qui se demande encore comment exister avec un peu de simplicité, ou un vantard si sûr de lui que j'en viens à plaindre le peu d'estime qu'il se porte. Mais cette fille - c'était une fille-fille dans tout ce que ça peut vouloir dire de sombre et de dérangeant, d'explosif et de malsain - ne laissait pas soupçonner la moindre fragilité, la moindre bonté qui réussirait à me la rendre tolérable. Trois mots, et dits sans jamais me regarder, ont suffi à la ranger du côté des deux ou trois individus face auxquels je ne peux développer ne serait-ce qu'une ombre de compassion.

Mais devant la dureté de ce constat, je me suis souvenue d'un fait troublant qui a presque suffi à me faire changer d'idée : j'ai toujours détesté mes personnages préférés avant de les aimer. Ou plutôt, j'ai toujours aimé vraiment les personnages les plus détestables qui puissent se trouver. Si Tchitchikov, Bardamu ou madame Verdurin, pour ne nommer que ceux-là, se sont révélés si humains, lucides et bons, oui, bons, c'est surtout parce qu'ils m'ont forcée à dépasser mon mépris pour leur misère et leur lâcheté, éclatantes, repoussantes. À fréquenter des gens peu fréquentables sur une certaine durée, on finit par se rendre à l'évidence : on comprend plus ceux qu'on a détestés et qui nous ont fait travaillé que ceux qu'on a aimés d'emblée.

Si lire ne servait qu'à ça, apprendre à ne jamais condamner, ce serait déjà immense.
Mais il s'avère qu'en plus, lire aide à savoir aimer. Cette fille et moi, bref, c'est loin d'être terminé.
Raskolnikov et Marmeladov, K. M. Petrovitch. (http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Klodt_Michail_Petrovich_-_Raskolnikov_and_Marmeladov.jpg)


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