20 septembre 2010

Guérir. Idéalement.

Ma maladie a son odeur. Chaque maladie a son odeur. Mais j'avais oublié combien l'hôpital tient tout entier dans cette odeur de tous les maux.
Woolf avait raison : on parle trop peu de la maladie en littérature. Pourtant, ce Proust qu'elle n'aimait pas trop avait bien dit le pouvoir de multiplication de l'humanité, de la réceptivité que possède la maladie. Pourtant, je suis sensible comme je le suis précisément parce que j'ai passé des mois entiers, petite, à observer, sentir, écouter tout ce qui passait près de mon lit d'hôpital. Je tire mon aptitude au rêve - et ma capacité d'analyse, son pendant insoupçonné - des heures passées à faire parler les personnages qu'il y avait au plafond au dessus de mon lit. Et c'est aussi à ce moment que j'ai compris ce que veut dire "le temps passe".
C'est en replongeant dans ce passé que j'ai retracé cette odeur. Me rappelant les Olympiques du matin au soir en cherchant mon souffle, les dessins animés en anglais que je ne comprenais pas mais qui allaient avec mon hôpital où je ne comprenais pas tout, et cet ami éphémère qui est parti avant moi pour bien plus loin que sa maison, ce qu'on n'a pas eu à m'expliquer bien longtemps pour que je le comprenne, j'ai passé le temps de ma maladie récente avec un peu plus de légèreté.
Ainsi, la maladie n'est pas qu'un mal. Elle est plutôt un humanisme, une mémoire, une manière peut-être moins poétique que d'autres mais peut-être plus efficace de comprendre ce que sont l'être et le temps.
***
Il y avait un jeune homme franchement étrange mais bien inoffensif qui râlait à chaque souffle comme si sa vie en dépendait. L'entendant parler à sa maman, une "môman" à la voix usée mais profonde de celles qui en ont vu d'autres, je me suis raconté de trente façons différentes ce qui pouvait bien faire que ce n'était pas des anti-douleurs qu'on lui donnait quand il se plaignait, mais des calmants.
Il y avait cet autre homme, beaucoup plus vieux, comme trop gentil et serviable pour que ça ne veuille pas dire la solitude. Il y avait ces gens, des femmes surtout, que les infirmières n'écoutaient même plus : "des comédiennes, celles-là."
Et il y avait moi au milieu de ce labyrinthe qui priait pour un peu de repos sans comprendre que c'est à penser ce qui bougeait partout autour que mon mal se guérissait le plus sûrement.
La maladie peut faire penser. Et la pensée peut nous guérir. Quoi qu'il arrive on ne s'en sort pas : l'idéal vient nous embêter même quand on voudrait juste avoir le droit de se plaindre un peu.

01 septembre 2010

Ceci n'est pas une menace de meurtre.

Je passe ma vie à essayer de convaincre de jeunes adultes que la littérature est un art qui veut dire quelque chose pour eux. Un art qui peut changer leur regard sur le monde et les choses, sur eux-mêmes surtout; un art qui peut faire d'eux de meilleurs êtres humains.
Alors quand je vois à la télévision une publicité populiste aussi bête que la plus récente de Réno Dépôt, j'enrage. "C'est la fête du travail! Alors qu'est-ce qui sera plus plaisant ? Lire un roman (avec un ton méprisant)? Ou (ton exalté) poser des gouttières?"... LIRE UN ROMAN, PARDI!
Lisant, j'ai vécu des drames immenses, des joies lumineuses, des angoisses profondes, j'ai voyagé partout, rencontré des gens plus grands que nature, me suis rencontrée moi-même, surtout, et découverte telle que je ne me serais jamais devinée. Et même si je n'ai jamais posé de gouttières, je devine qu'il y a bien peu de chances que cette "expérience" soit à la hauteur de celle que permet la lecture d'un livre. Lisant, je suis en vie. Besognant, je m'oublie, et j'oublie l'espace vivant qui grouille autour de moi.
Que ce mépris des livres soit récupéré et utilisé à des fins publicitaires ne m'étonne pas. Existe-t-il en effet un lieu plus déshumanisant que la publicité commerciale ? Mais qu'il soit de plus en plus observable, et dans toutes les sphères de nos vies, me désole et me chagrine. Cela traduit une dépréciation tragique de tout ce qui peut rester d'humanisme dans notre monde. Et la "journée internationale du livre et des droits d'auteur" n'allège en rien ma peine, mais la renforce : c'est tous les jours qu'il faudrait empêcher les abrutis d'oser prétendre que lire apporte moins que rénover une maison qui n'a souvent besoin de rien d'autre que d'être remplie de moins de trucs inutiles. C'est tous les jours qu'il faudrait rappeler de toutes les façons possibles que lire est un besoin réel, lui, qui rénove notre vie plutôt que notre balcon.
Ce n'est pas bien bien original, comme crisette, mais sa répétition ne diminue en rien mon exaspération. Même si, malgré tout, il faut bien admettre que si j'enrage, ça me fournit aussi un souffle de plus pour remplir mon rôle du mieux que je peux, pour continuer de penser qu'une vie sans littérature est une vie moins pleine, et que Normand Brathwaite pourrait bien disparaître mystérieusement de notre espace public, ça ne me ferait pas un pli sur la différence.