Quand j'ai commencé à aller toute seule à la bibliothèque - la vraie, pas celle de l'école - j'étais en 4ème année.
Je garde bien peu de souvenirs de la première bibliothèque où j'allais avec ma mère. Je me souviens seulement des frais de retard qui la faisaient rager. (Peut-être est-ce à cette bibliothèque que je dois mon extrême respect des dates limites ? Je crois bien n'avoir jamais rapporté un livre en retard de ma vie, même à l'université...)
Je me souviens toutefois parfaitement de MA bibliothèque, celle où, à 8 ans, j'allais seule en revenant de l'école parce qu'elle était à mi-chemin entre l'école et la maison. Celle où même ma mère n'allait pas. La bibliothèque Frontenac. Je suis passée devant récemment. Un homme montait tranquillement l'allée qui mène à sa porte, les bras chargés des sacs qui alourdissaient son pas. Et je me suis revue, ma grosse boîte à lunch laide que je détestais au bout des bras, montant moi aussi vers ce lieu sombre qui m'intimidait.
Parce que ma première bibliothèque me faisait peur. Au début, c'est une amie qui m'y traînait, et on louait ensemble des Chair de poule dont on se faisait la lecture sur mon balcon. C'était elle qui s'occupait de tout, réservation, contact avec les gens au comptoir; j'ai toujours eu très peur des lieux nouveaux et grouillants d'inconnus. Mais un jour - je ne sais toujours pas ce qui m'a pris, mais je l'en remercie - j'y suis allée toute seule.
J'ai quelques flash très précis de mes déambulations dans les rangées, du mystère profond qui émanait de chaque livre, de ma fascination béate pour tout ce que je voyais. J'étais complètement obnubilée. Mais je n'associe pas ce lieu au bonheur extrême qu'on associe très souvent aux souvenirs de premières bibliothèques. Il faisait noir dans celle-là. Les rangées étaient serrées, et j'ai souvent dû avoir l'air d'une drôle de petite fille avec mes grands yeux, ma bouche ouverte, mon sac de travers et ma boîte à lunch horrible à foncer dans les autres parce que je n'avais plus vraiment conscience d'être là où j'étais; je ne voyais que les livres, et ils me faisaient peur.
La première fois, je me souviens, je n'ai pas osé emprunter de livres. Je ne voulais pas avoir l'air de celle qui ne sait pas comment faire. (J'ai encore quelques traces de ça. Souvent. C'est horrible, cet orgueil puéril.) Après, je me suis armée de courage - j'ai sûrement demandé à ma mère comment faire - et j'en ai emprunté. Des Agatha Christie. De ça, je suis certaine, parce que je refusais d'aller dans les livres jeunesse - à 8 ans ? c'est horrible, cet orgueil puéril - et de tout ce que je voyais dans la section adulte, c'était le seul nom que je connaissais, parce que maman écoutait souvent Hercule Poirot à la télé anglaise.
Depuis ces premiers livres empruntés à ma bibliothèque obscure, rien n'a changé. J'ai encore peur des lieux nouveaux et des inconnus. Et j'ai encore peur des livres. Mais je ne voudrais pas cesser d'avoir peur; les livres qui ne me font pas peur m'apprennent bien peu des choses. Ma peur de la bibliothèque Frontenac s'est transposée aux livres ? Tant mieux. Elle signale une modestie que je m'en voudrais d'oublier devant ces objets qui me dépassent.
2 commentaires:
La peur a une incontestable manie de réveiller des passions inconnues, de nourrir une curiosité insatiable...
Oui. Dans ce cas-ci. Mais le plus souvent, il faut bien admettre que la peur est un des plus puissants freins qui soient... Et dont je suis très souvent victime, d'ailleurs.
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