07 juin 2009

La soumise

Je ne suis pas une insoumise.
Pourtant, j'ai trouvé beaux ses emportements quand, pour la première fois chez lui, mon père m'a dit : "J'ai toujours eu peur. Tout ce qui se posait devant moi - soirée, trottoir, sourire d'autrui - était beaucoup trop grand pour que je puisse l'affronter. Alors je débordais, à l'intérieur. Je me liquéfiais. Aujourd'hui, enfin, je le vis. Tu m'as permis de faire de ma peur une chose vivante, ma fille." 
C'est quand je me trouve là, dans la parole d'autrui, que je sais que j'existe. Et quand cet homme, que je découvre à peine mais qui pourtant, comme toutes les autres figures d'autorité, a un très fort ascendant sur moi, exulte, ne se limite pas au convenable et fonce droit sur moi, je m'emporte moi aussi. Parce qu'il existe de ces êtres qui iront toujours plus loin qu'on le demande, qui s'élancent sans trop penser à ceux qui, comme moi, ne feront toujours, au fond, que les envier.
Je travaille moi aussi à faire de ma peur un emportement meilleur. Je travaille à ne pas penser toujours le pire, à ne pas me croire, maintenant, tiens, comme celle qu'on a trop facilement bernée pour avoir ce qu'on voulait. Je travaille à croire que ton sourire m'était destiné, et pas à cette lueur que tu te serais créée. Je travaille à espérer qu'il existe une sincérité. Par moments, j'en tire un sentiment de la vie. Sinon, je travaille à en tirer un espoir. Juste ça, un espoir.
Parce qu'espérante, je me rue. C'est l'espoir qui me meut et m'épuise, m'aiguise et m'exalte; c'est dans l'espoir que le frisson peut agir, qui me grise et sans lequel je ne poursuivrais pas sur cette route tumultueuse de la pensée. L'achèvement, l'après ne m'intéressent pas. C'est juste avant qu'elle ne survienne que l'apogée me hisse à ses plus hauts sommets. 
Aujourd'hui, par exemple. C'est à la radio, où on en discutait, que m'est venue cette idée de la soumission. Tout à coup, cette énième copie sur Kafka qu'il me restait encore à corriger n'était plus d'aucun intérêt, si elle en avait déjà été ; j'ai plutôt été transformée à l'idée de penser la soumission. En le faisant, la paresse m'a gagnée, et j'ai choisi de penser que je ne savais pas en parler. Maintenant que c'est fait, c'est confirmé : je préfère être soumise en silence, et juste avant d'en prendre conscience.

6 commentaires:

Mek a dit…

Eh beh ça alors. Argh.

J. a dit…

Hum.
Qu'est-ce à dire ?

Vincent de Grandpré a dit…

Être soumis en silence et y penser juste avant ... J'ai fait ça avec la pension alimentaire et merde j'aurais pas dû ! .. Le résultat est que j'ai signé quand même (soumission) et que juste avant de payer pour le vrai les nerfs m'ont fait prendre peur et j'aurais peut-être pas dû mais je décidé de poursuivre les démarches plus loin.

C'est qu'un exemple et ça prouve bien une chose, c'est que je te comprends.

J. a dit…

Mmm... Je n'entendais pas du tout la soumission de manière si concrète, mais si c'est ainsi que tu comprends ce petit texte, alors l'analogie est bonne.

On saisit un texte par le bout qu'on peut, et qui nous rejoint. Et tant qu'on essaie de le saisir, on le fait exister.

Mek a dit…

Argh, dans le sens de « ça fait mal à lire ». Mais c'est une fantastique évasion des murs du déni ambiant. Je ne peux qu'en admirer le courage et le froid réalisme. Je vous salue, madame.

J. a dit…

Ah! Eh bien... Salut à vous aussi!

L'idéal est contre le déni. Ça, assurément. Et le fondement de ce blogue étant de le faire entrer dans le réel, cet idéal, il faut bien les faire s'entrechoquer tous les deux par moments.

Mais c'est plus facile à faire qu'à dire, pour une fois.