J’écris ces lignes avec l’ivresse de ceux qui recommencent à boire après de longs mois d’abstinence ou à manger ce chocolat trop longtemps gardé caché au fond du garde-manger. Ça sent la pluie, dehors. Et cette chaleur mouillée sur le point d’éclater sied bien à l’état dans lequel je me trouve, concentrée mais fébrile, naïve, habitée.
Par quoi précisément ? Je ne saurais dire. Mais les mois passés à ne pas écrire sur mon blogue – celui-ci est la continuité de celui-là : http://approchesdelideal.blogspot.ca – ont été longs. Même si ce n’est plus très à la mode, même si je m’y montre rarement, je continue de chérir cet espace où je cherche encore à arrêter le temps pour raviver cette partie de moi qui n’a pas cessé de croire aux miracles.
Parce que les fragments que je propose ici et là depuis toutes ces années (2008, déjà!) sont précisément ça, pour moi : les traces d’un effort toujours renouvelé de continuer de m’émerveiller, de ne pas jouer celle qui lit et qui écrit en n’y croyant plus vraiment. Ce serait faux, bien sûr, mais ce serait facile aussi. L’enseignement est une vocation, et même si je n’ai pas perdu la foi, je dois bien admettre que l’énergie me manque de plus en plus. On dirait que consacrer ce qui en reste à l’écriture de choses plus vastes, plus entières (mon premier roman, Ce qui nous lie , m’a coûté cher, mais ce ne sera je l’espère pas le dernier) m’empêche le plus souvent de m’adonner à l’écriture plus parcellaire, instantanée, du blogue littéraire. Mais ça ne veut pas dire que j’aie envie d’arrêter. Ça veut juste dire que j’attends le moment où je ne peux plus me contenir avant de me confesser.
Ce que je dirai ici prendra en effet la forme du secret. Je murmurerai ces confessions bien maladroitement, parce que chercher à dire le plus intime et, donc, le plus universel tout en embrassant joyeusement le rythme du quotidien est un pari risqué, forcément raté, même, j’oserais penser. Mais je veux encore essayer, parce que je suis obstinée. D’ailleurs les faits du monde continuent de m’y encourager, qui appellent toujours plus de poésie – ce qui veut dire beauté, pour moi – pour compenser leur rêche réalité.
Cette semaine par exemple, après toutes mes corrections, j’ouvre un premier livre choisi depuis longtemps – Figures de compassion, dirigé par Yvon Rivard et Sarah Rocheville – et je commence par la fin, comme souvent. Et je lis vite, avide. Ça me glisse dessus sans trop de fracas puis un miracle arrive, comme seuls les livres m’en fournissent encore parfois.
À quoi ça tient ? Je ne sais pas. Mais le temps ralentit. Les mots sur la page arrêtent de défiler et soudainement j’y suis. Il n’y a plus de page. Dans ce cas-ci, ça s’est passé dans le dernier texte, « Le bon Samaritain ». L’auteure, Mélissa Grégoire, raconte un moment marquant de son enfance, où sa grand-mère l’a exhortée à arrêter de se moquer de son grand-oncle qui lui répugnait parce que comme tous les paumés, celui-là aussi avait son histoire. Quand la petite fille a demandé pourquoi il buvait autant, sa grand-mère a répondu : « Je ne sais pas. Ça n’a pas toujours été comme ça. Quelque chose s’est brisé en lui. Je ne pourrais te dire quoi. Peut-être que c’est à force de vivre seul. (…) Moi, ta grand-mère, je lui dois beaucoup. » Et après toute l’histoire, la narratrice est bien forcée d’avouer qu’elle avait été « idiote » de mépriser ce grand-oncle.
C’est une histoire toute simple racontée sans artifice, mais ça a suffi. Mes yeux se sont remplis d’eau, et j’ai remercié le ciel, l’auteure, les livres et les mots de m’avoir rappelée que je n’étais pas seule. Au fond, mon idéal en est un de communauté. Une communauté silencieuse mais riche, vibrante, où personne ne s’épargne le souci de goûter pleinement son expérience d’humain et, les bons jours, d’essayer d’en rendre compte le plus fidèlement possible.
« Figures de compassion »… Ce livre porte bien son titre, mais tous les livres qui ont compté pour moi pourraient le porter aussi. La littérature, qu’elle soit dans les livres ou sur le web, n’est rien d’autre à mes yeux qu’un espace où l’on cultive la compassion. Et c’est une vertu trop vitale pour que je cesse de m’y consacrer même, ou surtout, les jours où la force me manque.
À bientôt, donc.
Référence : RIVARD, Yvon et Sarah Rocheville (dir.), Figures de compassion, Montréal, Leméac, 2014, p. 147-148.
****** Ce message est disponible ici : approchesdelideal.wordpress.com .
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