31 décembre 2010

Exercice de style

Parfois je voudrais d'une écriture qui avance. Parfois j'en ai vraiment ras-le-bol de la rondeur de ce que j'écris, qui revient toujours plus haut, derrière, qui est toujours trop lisse, trop poli, et qui ne me ressemble pas.
Parfois je voudrais écrire
une phrase qui n'en finirait plus, qui s'élancerait prestement vers des devants qui lui échapperaient, à cette phrase sans contours et se mouvant comme les instants fugaces qui s'enchaînent inéluctablement et dont elle se voudrait la trace, cette phrase qui irait vite et sûrement vers un temps qui déborde la page, avenir diffus et clair et allègre, parce que je voudrais qu'elle le fasse légèrement, sans pavoiser, juste comme si cette longueur et ce souffle allaient de soi et n'étaient pas réservés à la colère à laquelle on les limite souvent, comme s'ils pouvaient dire tout simplement ma joie, ma légèreté parfois et ma gaminerie surtout, que j'aimerais préserver plus que tout et à quoi je voudrais qu'elle ressemble, cette phrase sautillante qui comme tout le reste ne voudrait au fond dire qu'une chose : toi, moi et la force baroque que tu ajoutes à ma vie, que je surprends depuis toi souvent vive et cristalline.
Image : Brueghel l'Ancien, Allégorie de l'eau.

08 décembre 2010

Joyeux hiver, ma tante Yolande.

J’aime l’hiver. Je n’aime pas Noël, les cadeaux, les rencontres de famille où je me sens étrangère, mais j’aime la neige, le silence, la douceur de l’hiver. Je n’aime pas la fin de l’hiver, sa couleur brune, ses drôles d’odeurs et son soleil qui ravive la saleté de ma ville, mais j’aime l’hiver.

Je garde cependant quelques bons souvenirs de fin d’hiver. Un en particulier. Ce devait être Pâques. Oui. Je crois que c’était Pâques, parce que ce n’est qu’aux grandes fêtes religieuses que je voyais ma grande tante, « ma tante Yolande », comme on l’appelait, et il me semble que c’était le printemps. Ce Pâques-là, elle allait décider de quoi ma vie allait être faite. Elle ne le savait pas, et moi non plus, mais elle allait, et de beaucoup, me simplifier le parcours. Parce que ce jour-là, ma tante Yolande m’a offert mon premier livre de grands, Le petit prince, de Saint-Exupéry.

Ça a presque l’air faux, tellement c’est ce qu’on attend. Ça a presque l’air arrangé. Et pourtant non, c’est vrai. Tout ce qu’il y a de plus vrai. Le premier livre qu’on m’a offert et dont j’ai souvenance, avant les Agatha Christie de la bibliothèque, le premier dont je me souviens de l’avoir lu en me disant « tiens, je vais commencer ça, pour voir », c’était Le petit prince.

J’aimerais pouvoir dire que c’est l’humanisme profond du jeune héros de ce livre qui m’a transportée. J’aimerais pouvoir dire que c’est sa brillante illustration des pouvoirs de l’imagination qui m’ont poussée par la suite vers la littérature. Mais non. Si ce livre m’a emportée, c’est juste parce que j’étais une enfant unique, solitaire et faiblarde, et qu’il me montrait qu’il était possible d’être moins seule et bien vivante dans la quiétude de ma chambre sans allergènes. Si Le petit prince a changé ma vie, c’est parce qu’il m’a appris la solitude, la belle, celle qui exalte et rend fort. Même si ça, je m'en suis rendu compte beaucoup plus tard.

Que ce soit ma tante Yolande qui me l’ait offert ne voulait rien dire de précis pour moi, jusqu’à tout récemment. Mais depuis quelques années, chaque fois que je la revoyais me confirmait qu’il y avait quelque chose là. Son esprit vif, sa répartie cabotine voulaient dire quelque chose pour moi.

Parce que ma tante Yolande était toujours toute pour les autres. Pour ma grand-mère, sa sœur aînée qui lui aura survécu ainsi qu’à toutes ses autres sœurs et à son frère; et pour son frère, un cardinal lui-même dévoué toute sa vie à la cause qu’il avait fait sienne, elle aura été une accompagnatrice fidèle, dévouée. Pour ses autres sœurs, malades bien avant elle, elle aura toujours été là, pour les servir, pour les soigner, petite voix douce disant « allez, vous n’êtes pas seules ». Alors depuis quelque temps, je me rends compte qu’il y avait sans doute son intuition derrière ce drôle de cadeau de Pâques, quelque chose comme « tu verras, petite, même dans la solitude il y aura les livres pour te rendre à la vie ».

Je ne connais presque rien de ce que ma tante Yolande était, de ses désirs, de ses angoisses. Mais je sais qu’elle aura vieilli dignement, fièrement et noblement, sensible à toutes les humeurs d’âme de ceux qui auront voyagé avec elle au long de cette route dont elle ne se sera jamais faite capitaine, mais fidèle compagnonne.

Sauf qu'en ce début d'hiver, le voyage est fini. Ma tante Yolande est partie. J’aimerais comme elle pouvoir dire, au moment où je partirai, que j’aurai révélé à quelqu’un ce qu’allait être son chemin, que j’aurai toujours été là pour ces autres que je devinais, qu’ils étaient toute ma vie. Mais je sais d’avance que ce n’est pas moi, ça. C’est tante Yolande, à qui je dois toute la blancheur de ce début décembre, elle dont les longs cheveux blancs se sont posés au sol d’un coup, doucement, pour nous accompagner une dernière fois vers un Noël qui se passera sans elle, sans son rire franc et son regard doux.

J’aime l’hiver. Mais celui-ci sera doux-amer. Parce que cette reine sera partie, que je salue ici bien bas, là où elle est, ce paradis auquel elle croyait et qui a été conçu pour les rares qui, comme elle, consacrent leur vie à ce que celle des autres soit lumineuse comme la neige folle et étincelante d'un début décembre inattendu.