Woolf avait raison : on parle trop peu de la maladie en littérature. Pourtant, ce Proust qu'elle n'aimait pas trop avait bien dit le pouvoir de multiplication de l'humanité, de la réceptivité que possède la maladie. Pourtant, je suis sensible comme je le suis précisément parce que j'ai passé des mois entiers, petite, à observer, sentir, écouter tout ce qui passait près de mon lit d'hôpital. Je tire mon aptitude au rêve - et ma capacité d'analyse, son pendant insoupçonné - des heures passées à faire parler les personnages qu'il y avait au plafond au dessus de mon lit. Et c'est aussi à ce moment que j'ai compris ce que veut dire "le temps passe".
C'est en replongeant dans ce passé que j'ai retracé cette odeur. Me rappelant les Olympiques du matin au soir en cherchant mon souffle, les dessins animés en anglais que je ne comprenais pas mais qui allaient avec mon hôpital où je ne comprenais pas tout, et cet ami éphémère qui est parti avant moi pour bien plus loin que sa maison, ce qu'on n'a pas eu à m'expliquer bien longtemps pour que je le comprenne, j'ai passé le temps de ma maladie récente avec un peu plus de légèreté.
Ainsi, la maladie n'est pas qu'un mal. Elle est plutôt un humanisme, une mémoire, une manière peut-être moins poétique que d'autres mais peut-être plus efficace de comprendre ce que sont l'être et le temps.
***
Il y avait un jeune homme franchement étrange mais bien inoffensif qui râlait à chaque souffle comme si sa vie en dépendait. L'entendant parler à sa maman, une "môman" à la voix usée mais profonde de celles qui en ont vu d'autres, je me suis raconté de trente façons différentes ce qui pouvait bien faire que ce n'était pas des anti-douleurs qu'on lui donnait quand il se plaignait, mais des calmants.
Il y avait cet autre homme, beaucoup plus vieux, comme trop gentil et serviable pour que ça ne veuille pas dire la solitude. Il y avait ces gens, des femmes surtout, que les infirmières n'écoutaient même plus : "des comédiennes, celles-là."
Et il y avait moi au milieu de ce labyrinthe qui priait pour un peu de repos sans comprendre que c'est à penser ce qui bougeait partout autour que mon mal se guérissait le plus sûrement.
La maladie peut faire penser. Et la pensée peut nous guérir. Quoi qu'il arrive on ne s'en sort pas : l'idéal vient nous embêter même quand on voudrait juste avoir le droit de se plaindre un peu.
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