18 août 2013

Mystères sans envergure

La liste est longue des petites et grandes choses dont on doit faire le deuil quand on perd un amour. Ce serait trop proche du Livre de Mallarmée, cette liste-là, je ne me risquerai pas.

Ces jours-ci, je m'intéresse plutôt à une autre sorte de passe-temps masochiste. Une autre sorte de torture à laquelle s'adonnent les esseulés. Je pense à des clichés inhabités montrant ce que chacun des désenamourés s'imagine au sujet de l'autre durant les heures lentes passées à regarder le temps passer.

Je refuse de croire que je suis la seule à tirer des images très nettes, cassantes, douloureuses,
des lieux, des heures qu'il continue d'habiter ailleurs.

Si c'était en photo, les fabulations de l'un pourraient faire face à celles de l'autre; l'histoire réelle de leur amour réel se faufilerait dans un monde parallèle.

Mais comme je n'ai ici que des mots, il n'y a rien de plus à en dire. On ne peut que le deviner.


17 août 2013

Fuck la poésie

Souvent, comme tout le monde, quand tout devient trop grand, trop lourd, trop plein, je vais chercher le vide à l'extérieur de moi - l'expression "faire le vide" est tout à fait exacte, je crois : le vide est une construction, rien n'est jamais vide, jamais. Je m'y prends de toutes les façons. Excès de toutes sortes, investissement disproportionné dans une activité sans importance, lectures compulsives pendant lesquelles les mots ne sont même plus des choses mais juste les mots des autres, qui déferlent vite pour faire taire mes mots à moi que je ne veux pas entendre.

Ces moments-là sont, pour moi, des moments de poésie.

Étonnamment, dans ces moments-là, ma pensée se fait poème. La poésie respire si bien qu'elle prend toute la place, elle vient en bloc, protège et coupe à la fois. Je ne suis pas certaine de pouvoir expliquer ça. Débordée, en tout cas, je pense en poésie parce qu'alors mes mots révèlent surtout l'écart entre eux et ce que je cherche vraiment à dire. C'est vrai tout le temps, mais surtout en poésie - les grands poèmes sont ceux qui parlent juste. C'est un travail immense. Alors quand je suis en poésie, je file vers les mots des autres, les histoires des autres, surtout, qui se déversent sur moi comme pour éteindre un feu, parce que bah, j'en ai déjà bien assez comme ça. Bref, je suis lâche en poésie comme dans la vie, et même quand je pense en poésie, surtout quand je pense en poésie, je fuis les poèmes eux-mêmes.

Mais malgré tout la poésie est en dehors de la poésie. Aussi quand je suis en poésie, je ne lis plus de poésie, et je n'en écris pas non plus, mais j'y suis pourtant, en plein dedans. Le poème est un silence qui fige les assauts du monde. Ça force un temps pour la respiration, oui - un poème est un intervalle prolongé, je ne suis pas la première à le dire - mais ça les place aussi juste là, devant moi, ces assauts que j'aimerais mieux ne pas devoir encaisser. Voilà pourquoi je ne serai jamais poète, et voilà pourquoi j'ai pour les poètes une admiration immense : eux seuls ont le courage d'affronter cette vie-là, qui ne se raconte même pas.

Les études en littérature étant ce qu'elles sont - il faut faire des choix -, j'ai surtout travaillé la poésie. Et pourtant la poésie ne me secourt pas comme les histoires peuvent le faire. Je peux la penser, la poésie, je peux la vivre aussi, et je la vis souvent, mais quand les choses deviennent réelles, il me vient un rythme, une mesure qui ne peut se dire qu'en prose. J'ai besoin de la nuance de la prose pour rendre compte de la déferlante, du souffle qu'écrivant, je cherche à restituer.

Bref, quand je suis en peine d'amour, je suis en poésie. Et quand je suis en poésie, j'écris de la prose. Au fond tout ceci aurait pu se résumer comme suit : "Je suis en peine d'amour. J'ai mal. Ça ne se dit même pas." Mais ça aurait été beaucoup trop simple.

02 août 2013

L'urgence se goûte dans la patience

Depuis quelque temps, et c'est nouveau dans ma vie, je subis assez fortement ce qu'il convient d'appeler "l'urgence d'écrire". Mais je la subis avec méfiance.

Rien ne m'irrite en effet davantage que ces auteurs qui s'affichent publiquement comme étant incapables d'arrêter d'écrire, alors qu'en fait rien n'est plus dur, rien n'est plus aride que l'écriture. Cette posture me semble forcée, obscène. Qui peut vivre avec le désir de la sécheresse des mots devant le mouvement des choses qui appellent à être racontées ? Qui peut vivre avec le goût de la solitude cosmique, terrible, de l'écrivain devant ceux à qui il voudrait rendre justice en écrivant, devant la vie dont il veut se rendre digne ? Venant d'écrivains populaires, d'écrivains qui écrivent des histoires où les choses se passent, je peux le comprendre. Amélie Nothomb qui dit ne pas pouvoir vivre sans écrire, je lui pardonne, c'est sûrement vrai, parce que je peux comprendre qu'on ait envie de cette fuite-là, dans des personnages, des événements qu'on n'avait pas prédits et qui nous emportent ailleurs que là où on se sent être. Mais les écrivains qui m'importent disent rarement l'urgence avec une telle facilité. Leur oeuvre est là pour témoigner de leur incapacité de vivre sans écrire, mais je ne les penserais pas capables de dire "un jour sans écrire est impensable". Parce qu'ils savent tous qu'un jour sans écriture est un jour léger, libre, où on peut seulement voir, sans regarder.

Or cette année, j'ai écrit un premier truc d'envergure, à ma modeste mesure, et depuis que je l'ai terminé, je ne pense qu'à me relancer. Ça a été terrible - j'étais seule, je criais, je pleurais - et ça a été long. Mais je veux que ça recommence. Naïve et ambitieuse, je fais l'expérience du monde à la lumière de la manière dont je pourrais le raconter. Quand je m'en rends compte, je me censure, évidemment, mais parfois je succombe presque à l'envie de me dire que moi aussi, j'aurais le droit de m'abandonner.

Si je résiste encore à l'urgence d'écrire, c'est qu'il me semble qu'elle aboutit souvent sur la médiocrité. Ça m'a pris 10 ans pour écrire 120 pages que je trouve dignes d'être lues. Je ne veux pas me précipiter vers les suivantes, que je voudrais aussi essentielles, aussi pressantes. Alors d'ici à ce que les écrive, je les sens venir avec patience, je goûte leur urgence avec surprise, et, dans les bons jours, avec modestie.

Ça aussi, c'est dur, mais je veux le faire durer.