22 avril 2009

Exercices dans la lenteur.

Je l'ai déjà dit, je suis foncièrement de l'avant. J'aime la frénésie de ce qui commence presque, qui se dessine au loin, encore flou mais tentant. Dans l'idéal auquel j'aspire, cette promesse ne se réaliserait jamais, toujours maintenue, tremblante et lumineuse, une sorte de seuil vers autre chose encore plutôt qu'une arrivée qui signerait la fin. Heureusement pour qu'un idéal veuille dire quelque chose, il en va autrement dans le réel, qui tient la promesse comme un contrat dont le non-respect serait une trahison plutôt qu'une ouverture. Ces jours-ci, peut-être est-ce le printemps, une liberté nouvelle ou un père naissant, les choses sont si furieusement aguichantes dans l'ouvert que je pourrais être tentée de me lancer vers elles à toute allure, les prenant tout à coup pour des objets de pure jouissance, oubliant que les consommer veut aussi dire les faire mourir. Je me force donc à la lenteur.
La lenteur comme dans ces mouvements lents des quatuors à cordes de Bartok, dont les tensions et les frottements contrastent violemment avec la vigueur et l'assurance des mouvements rapides. Or c'est la peau qui réagit à cette lenteur, à cette durée qui passe par le maintien de la dissonance jusqu'à ce que sa résolution apparaisse comme une délivrance, la peau qui frissonne et devient le seuil entre mon intériorité et le monde qui l'appelle. Comme une caresse, cette lenteur me dit ma fragilité, la fin de l'illusion de ma solitude cosmique. Et si dans la lenteur de la caresse, mon corps est à la fois en moi et en toi, ici et là, c'est ce rythme, cette posture qu'il me faudra maintenir pour que ce printemps ne se termine jamais.
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Plusieurs fois par jour, mon voisin, vieil anglophone pince-sans-rire et bon vivant, promène son petit chien énergique et fouineur auquel il consacre beaucoup de temps. L'an dernier, Bob, c'est son nom, a dû faire amputer une jambe à ce chien rongé par un cancer, et soudainement, le rythme de la marche s'est ralenti, le fouineur claudiquant sur trois pattes ayant, on aurait dit, moins d'appétit. Mais depuis quelques semaines, c'est fin seul que Bob sort marcher. Il continue malgré tout de s'arrêter inopinément, de faire de drôles de petits pas inégaux et traînants. Comme si la lenteur de son ancien compagnon était aussi devenue la sienne, comme si pratiquer encore un rythme jadis partagé gardait aussi en vie, un peu, son ami.

16 avril 2009

Du sens sur la transparence d'un regard

Entre le gris dur des derniers jours et la vive et contrastante lumière de ceux-ci, dans l'intervalle, je ne discerne plus bien mon temps, mon rythme, mes mots et mon coeur.
Ce que je sais faire : tourner les yeux vers l'ailleurs, aussi proche soit-il, et transformer mes exigences en dépassements, mon intransigeance en ouverture ; "y a-t-il rien de plus réjouissant, de plus exaltant ?"
À cette exaltation répond un besoin d'action, une énergie vitale qui se concrétise dans l'effervescence de la rencontre, dans "l'avidité de l'âme des autres, de la vie des autres, de l'être salvable et joyeux dans les autres." Si c'est bien par peur d'avoir à me choisir que je me place dans cette transparence et cet accueil, je me console en pensant que "ce regard en effet transforme le monde, en fait un monde de joie et d'espérance,  presque déjà ressuscité."
Peut-être ne sais-je faire que ce choix-là, mais au moins il est, fragile et fier, du côté de la bonté.
(Toutes les citations sont tirées du Journal de Saint-Denys Garneau, Montréal, BQ, p. 114.)
(Image : Éluard/Man Ray, Les mains libres.)

01 avril 2009

Le langage pour être

Oh, et il y a ceci que je souhaitais intégrer au précédent message mais que je ne parvenais plus à trouver, ceci qui est une évidence qu'il n'est jamais inutile de se rappeler :
"(...) il n'y a que le langage pour tirer l'être hors de son enceinte intérieure.
C'est Étienne Paquette qui le dit, après combien d'autres, dans son essai Se faire et se défaire (p. 46). 
Et cette sortie bienfaitrice ne peut se faire, véritablement se faire, qu'en silence. 
Évidemment.

Sur la route

Expériences multiples d'un transit difficile, cette semaine. 
J'avais tort, d'abord. Il n'y a évidemment ni avant ni après; le langage fait, à tous les instants, l'événement. Et la grise réalité ne peut qu'être décevante une fois la vive lumière des fantasmes qu'il construit, qu'il fait être, tamisée. 
Faire le deuil de ses fantasmes, c'est savoir reperdre tout le temps rattrapé par la rencontre. L'apparition de cette nouvelle figure du réel est un cycle inachevé entre naissance et mort. Et dans cet inachèvement qu'ils partagent, l'avenir et le passé ne sont qu'oeuvres ouvertes encore à raconter.
***
Au retour, sur la route, les mots ont, eux, eu le courage de donner un sens à rebours à la béance qui s'ouvrait, et au cadavre naissant que je laissais derrière moi. 
Au retour, sur la route, pensée et paysage ont été petites lâchetés, manières de ne pas voir là, inavouables, ma honte et ma colère.
Puis, à un moment où je levai les yeux, il y eut, surréelle et bien vraie, cette mer d'autobus et de camions de toutes sortes, immobiles et prêts, pour me rappeler le chemin encore à faire.
(Image : Paul Klee, Route principale et routes secondaires.)