29 janvier 2009

Du mal.

Une fois n'est pas coutume. 
Parce que c'est plus fort que moi et parce que je n'ai nulle part (et encore...) pour me départir de ça, de ce qui m'habite maintenant, pour une fois, donc, et comme d'habitude, je vais parler de moi.
De ce qu'il y a d'existentiel en moi, comme dirait le bucolique berger de l'être du haut de sa pittoresque montagne - même de lui, même et surtout des maîtres, on a envie de se moquer quand on a mal : j'existe en dehors, plus bas, et malgré vous -, de ce qui fait mes jours, à commencer par celui-ci, jour de la fin.
La littérature parfois ne suffit plus. Être en littérature pour moi c'est être jeté - pro-jeté, aurait -il, encore lui, dit - et c'est se perdre. À ce régime, on devient habile à sortir de soi pour mieux y revenir, s'appropriant la parole et la connaissance et la joie et le mal d'autrui. Et tant d'autres choses encore : une vue sur le monde que font ses cubes, une image de sa mère,  une "neige fine, neige lente" et le rythme qui vient avec. En littérature, j'existe à travers toutes ces choses. Ma parole ne s'élance pas sans elles ; je les deviens.
Mais mon devenir, qui s'échappe et qui fuit, existe-t-il en dehors d'elles ? Bien sûr que non. J' "écoute la voix du dehors, c'est la voix intérieure", et alors je ne sais plus discerner mon mal du tien. Quel est mon mal ? Aie-je mal ? Puis-je vivre ton mal ? Je m'approprie ton mal sans manière et suis anéantie de t'anéantir. 
D'ordinaire je me considère empathique. Trop, sans doute. Aujourd'hui, je me considère égoïste. 
Et dans des moments comme ceux-ci l'acte de lire devient, précisément, impensable.

28 janvier 2009

Écrire, c'est effacer.

La relecture est un exercice d'objectivation salvateur : il incite à la destruction.

23 janvier 2009

Ambivalences

Prise entre la "vraie" vie, ennuyante et grise, et une profonde envie d'un vrai dialogue qui n'en finirait pas, je cherchais ces jours-ci précisément quelque chose comme ceci :
"Écrire donne au vide une profondeur qu'il n'a sans doute pas."
Ou pas, finalement. 
(André Major, L'esprit vagabond. Carnets, Montréal, Boréal, 2007, p. 393.)

22 janvier 2009

Moment d'éternité de la journée.

Dans l'autobus, une petite fille, coincée sur son siège.
Son corps en perpétuel mouvement crie de toutes ses forces : "Maman! maman! Mon corps ne trouve pas sa place, ici!" Mais voilà, maman cause au téléphone. 
Par erreur, ses grands yeux croisent les miens qui lui font face, les miens qui, comme toujours, veulent tout prendre et font peur.
Alors forcément, elle pleure. Et même si j'essaie très fort de lui dire avec les yeux "Mais non! Je suis une amie! Je suis comme toi! Moi non plus, "Je ne suis pas bien du tout assis(e) sur cette chaise"!", même si mon corps tout entier n'existe plus que pour lui crier qu'elle n'est pas seule, rien n'y fait : elle pleure.
Épuisés, mes yeux tombent alors sur mes propres mains. 
Et mon Dieu, eux aussi auraient voulu pouvoir pleurer.

15 janvier 2009

Précisément.

Lu aujourd'hui, un peu partout sauf chez moi, le Journal du dehors d'Ernaux, prêté par une précieuse amie, et ce n'est pas sans importance.
Lu aujourd'hui, dans les mots d'une autre, l'expérience du monde telle que je la racontais hier, à savoir : "Ce sont les autres (...) qui, par l'intérêt, la colère ou la honte dont ils nous traversent, réveillent notre mémoire et nous révèlent à nous-mêmes."
Si j'ajouterais "l'ailleurs" aux "autres", je ne pense pas autre chose.
(Image : Annie Ernaux écrivant. Trouvée ici.)

14 janvier 2009

Je suis ailleurs

Être idéaliste suppose une dose considérable de naïveté, que je revendique de plus en plus fièrement. À voix bien haute. Aujourd'hui, j'ai compris une chose toute simple, que je savais bien sûr d'instinct mais que je n'avais jamais su nommer : je suis ailleurs.
Je n'ai jamais su trouver mon lieu. Au travail, à l'école, dans les cafés, depuis aussi loin que je me souvienne, je suis constamment dévorée par une timidité qui m'impose un silence et un air qui doivent expliquer ma très grande solitude. (À ce sujet, je ne suis pas certaine qu'Ionesco ait tout vrai : la solitude réelle est sans doute bien plus sociale que cosmique. Mais je m'égare.) Même là où je pense trouver des semblables face auxquels je ne serais pas si terrifiée de me livrer -- au cégep où j'enseigne, par exemple -- mon inadéquation avec le monde se voit cruellement confirmée. S'il favorise la pensée, ce poids, ce silence minent considérablement mes énergies vitales. Cette disposition me cantonne, cela va de soi, dans le rôle de l'observatrice, dans l'exercice duquel je m'engage aussi entièrement qu'en toute chose. Or ce faisant, je ne suis tournée que vers autrui. À chaque instant. Tentant littéralement de me glisser en lui, je le dévore des yeux, comme on dit, parce que cette soif transparaît forcément dans mon regard, que je devine à la fois furtif et insistant. Et c'est précisément parce que je m'abîme sans cesse en lui qu'autrui me fuit. Prédatrice, je suis un risque, à le guetter ainsi. 
Mais ces choses me sont connues depuis longtemps, même si je suis absolument incapable de les modifier; je me suis trop souvent épuisée à essayer. Sur ce blogue, j'ai d'entrée de jeu distingué la pensée de l'ici, combative et active, de celle de l'ailleurs ou du , réactive et réservée. Les penseurs de l'ici sont habités par eux-mêmes d'abord -- mais la présence à ce que je suis et la présence au monde ne me semblent pas pour autant exclusives, évidemment -- et ce sont eux qui, séducteurs, attirent. Ce sont eux, vus tantôt au café tantôt dans une de mes classes, qui, sûrs, choisissent (croient-ils, ou du moins je le crois) ce qu'autrui laissera en eux. Les penseurs de l'ailleurs, au contraire, ne trouvent leur lieu qu'en retraite de cet ici bouillant, en retraite et donc proches, alertes, voisins. Ils s'abîment, comme moi qui m'effraie me regardant regarder cette collègue qui trouve sa parole si facilement, dans cet ici qu'ils cherchent à éclairer autrement. Aujourd'hui, j'ai bêtement compris ceci : je suis ailleurs en littérature comme -- lire "de la même manière que" -- dans la vie.
Je pense, et le dis souvent, que les littéraires, critiques comme créateurs, ne parlent au fond jamais d'autre chose que d'eux-mêmes. Eh ben voilà, je dois en être ! Si l'institution ne m'a pas encore fourni un sentiment de légitimité  assez grand pour que je m'accorde un titre, quel qu'il soit, cette expérience vient de m'en fournir un. Je ne sais toujours pas trouver mon lieu, mais je sais, un peu, ce que je suis. C'est un pas.
(Image : René Magritte -- il me fait toujours bien rigoler ! --, Le Chef-d'oeuvre ou les mystères de l'horizon, 1955.)

12 janvier 2009

Le livre, un ami

La relation amicale est au fondement de toute entreprise littéraire ou philosophique. 
Sur un plan historique, il est en effet inutile de rappeler que sans elle, jamais Socrate n'aurait trouvé de voix à travers celle de Platon, et jamais les salons des XVIIe et XVIIIe siècles n'auraient été le lieu de tant de réflexions morales. De l'amitié pédagogique entre l'élève et son maître, dont ma préférée reste celle qui lie Ferdinand à Courtial dans Mort à crédit, à l'accompagnement silencieux unissant les personnages d'Arto Paasilinna en passant par les camarades de beuverie qui animent les aventures beigbederiennes, l'amitié est, en littérature comme dans la vie, un canal vivifiant. Et c'est précisément ainsi qu'elle a toujours été conçue, exigence d'un échange et d'une humanité partagée. Un facteur de vie, en somme. Or c'est justement de cette façon que je comprends la lecture. Lisant, je me saisis à travers l'expérience de l'autre, qui en retour n'existerait pas en dehors de la réception que j'en fais. C'est une évidence : la lecture met en oeuvre, littéralement, la réciprocité placée depuis au moins Hésiode au fondement de l'amitié. 
Dernièrement, commentant le projet d'un ami qu'il m'avait proposé de lire, j'ai pu vérifier combien cette amitié-là, celle qui passe par le livre, est exigeante. Mon engagement à répondre le plus sérieusement possible à ceux dont je perçois qu'ils cherchent aussi à multiplier l'humanité en eux exige de moi une transparence difficile qui devient carrément épuisante quand elle prend la forme d'une réaction. La lecture devient alors, Eco l'a un peu dit, une réécriture, une correspondance qui ouvre les possibilités de l'oeuvre : je dois répondre de ce que je deviens à travers l'offrande d'autrui, et la grandeur de son don ne trouve rétribution qu'au prix d'un effort que chaque mot renouvelle. Seulement voilà, je sors grandie chaque fois de cet effort que je fournis, qu'il passe par l'écriture ou non. Et l'amitié me profite alors autant à moi qu'à l'autre. 
Et nous revoilà partis pour un tour.
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Récemment -- les astres sont alignés, comme on dit -- plusieurs amis m'ont témoigné, plus vivement qu'à l'habitude, leur reconnaissance ou leur affection. En toute franchise, il n'y a qu'une chose que je puisse leur répondre : je ne suis que peu responsable de l'engagement qui caractérise mes rapports avec les autres, ce sont plutôt tous ces livres que je lis, du reste très souvent toute seule, qui m'apprennent chaque fois ce que veut dire être un ami. 

10 janvier 2009

Le choix répété du vivant

Période trouble ces jours-ci, où je sens mon monde se transformer, se trouver une nouvelle mesure. Période sombre aussi, obscurcie par la mort partout.
C'est le moment de me rappeler ma chance : mon idéal est du côté de la vie. Absolument.

01 janvier 2009

Le souffle, l'amour

Il y a souvent chez Patrice Desbiens une pratique ostentatoire du jeu qui, cohérent dans cet univers mais fioriture néanmoins, dit le réel dans un certain "apparoir".
Mais il y a aussi ceci :
Souvent
sur le vent 
ton nom s'échappe
de ma
bouche
comme
un oiseau.
Et alors j'y crois.
(Tiré de En temps et lieux 2, p. 42.)